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Une envie de livres ?

17/12/2013

"Parents, je vous hais".

"Parents, vous êtes en train de détruire votre enfant. Pour cela, je vous hais". Ces mots, j'aimerais pouvoir les dire, les hurler. Les crier comme on crie en cas de danger imminent.

Il faudrait parfois, que je les dise, ces mots. Mais ce n'est pas une chose à faire. Toute vérité n'est pas bonne à dire, me répétait-on, quand j'étais enfant. La violence est mauvaise, ne cesse-t-on d'expliquer à nos élèves. Alors je ne vais pas montrer le mauvais exemple, même exténuée et à bout de forces, à bout de nerfs. C'est ici que j'explose, sur un blog que les intéressés ne liront jamais.

De toute façon ce serait inutile.

J'ai croisé des parents ce soir, dans les couloirs. La journée n'a pas été facile. Juste 8 heures de travail, dont cinq heures de cours, et deux particulièrement, de lutte, contre des élèves. Deux heures en tout cas à rôder dans la classe, à ne rien laisser passer pour éviter que ça ne dérape. Il faut avoir enseigné devant des classes difficiles pour imaginer combien une seule heure peut épuiser, nerveusement, moralement. Durant la cinquième heure, un élève m'a fait un doigt d'honneur. Je suis fatiguée à l'avance de devoir réagir, porter plainte. Mais je ne peux laisser passer, même si je n'ai plus l'énergie pour réagir, en tout cas, pas ce soir.

J'ai donc vu des parents ce soir, quantités de parents, même. Les premiers,  je les ai salués. Puis, après en avoir vu deux en particulier, épuisée, je suis passée, sans rien dire, visage fermé. D'habitude , malgré ma fatigue et mon état, à tous ces parents, j'aurais au moins adressé un "bonsoir". Mais pas ce soir. Rien n'est bon ce soir. N'étant pas professeur principal, je n'étais pas chargée de remettre en main propre les bulletins, comme cela se fait dans ma ZEP (pardon, je ne suis plus à la page, aujourd'hui on dit RRS. Ça ne change rien, juste le nom, mais notre époque aime ça, les changements de noms. À défaut de changer la réalité, on en change l'image. Hypocrisie contemporaine). Donc, j'ai croisé des parents et je n'étais pas censée leur parler.

J'ai juste vu deux parents que je n'aurais donc pas dû voir, au sens où cela n'était pas prévu et où cela aurait été préférable. Ça me fait penser que je ne les ai pas vus pour la rencontre parents-professeurs. Pourquoi, je n'en sais rien.

Je les ai vus, car j'aime profiter des occasions, pour dire un mot aux parents des élèves qui sont sur la mauvaise pente. Quand je peux appeler, j'appelle. Si je les vois, je les retiens le temps de leur dire un mot. En général, cela se passe très bien, les parents comprennent. Et dans les jours qui suivent, leur enfant se reprend, un peu.

Ceux-là, il aurait mieux valu que je ne les vois pas. Ce soir, j'ai envie de hurler "parents, je vous hais!". Oh pas tous les parents. Il y en a beaucoup de formidables, des quantités qui réussissent très bien à éduquer leur enfant et en font des créatures merveilleuses. Il y en a beaucoup aussi qui luttent, même si leur enfant n'est pas facile. Il y en a à qui je ne jetterais jamais ni la première pierre, ni les suivantes, et pourtant, Zeus sait que leur enfant a déjà mal tourné et peut nous retourner une classe en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Je ne leur dirai rien car il ne sert à rien d'accabler des malheureux.

Parents, je vous hais, je vous hais si...

Si vous apprenez à votre enfant, qu'aux insultes il faut répondre par l'insulte, aux coups par les coups.

Si vous apprenez à votre enfant que ce n'est pas de sa faute, mais ce sont les autres qui ont commencé, qui, déjà, ne se conduisent pas bien.

Si vous accablez ceux qui tentent, contre vents et marrée, de faire grandir votre fils, de l'élever vers des savoirs nouveaux, vers des horizons insoupçonnés. Si vous accablez les enseignants, qui font ce qu'ils peuvent, pauvres humains qu'ils ont le tort d'être.

Si vous justifiez l'incurie de votre enfant par la soi-disant peur qu'il soit maltraité, parce qu'il sera le boloss.

Vous vous trompez. Vous trompez votre enfant. Vous le détruisez et vous détruisez notre travail, à nous enseignants. Ce soir vous me détruisez moralement.

Tout ce que l'on peut faire pour votre enfant, vous le retournez contre nous. On décrocherait la lune pour vous et votre précieuse progéniture (qui insulte, qui fréquente volontairement les pires, qui ne fait rien de la sainte journée), vous trouveriez moyen de la juger décevante, la lune, pas assez ronde, pas assez brillante.

Vous m'avez dit ce soir "On a mis notre fils dans une classe de merde". Mais ouvrez les yeux!

Cette "classe de merde" n'est ce qu'elle est qu'à cause d'enfants comme le vôtre.

Vous parlez avec le plus grand irrespect de l'ancien principal, devant votre enfant. Mais comment voulez-vous que votre enfant respecte les adultes, dans et hors l'établissement? Viendra le jour où votre fils estimera pouvoir vous insulter, en usant du même libre arbitre que vous croyez pouvoir utiliser. Vous connaissez les règles mais vous estimez en l'espèce ne pas avoir à les  respecter. Prenez garde, monsieur, votre fils fera pareil.

Selon vous, c'est à cause de lui, le principal, que votre fils chéri est dans cette classe et qu'il a ces résultats-là. Bien sûr. Attribuer la responsabilité du bulletin de votre fils à quelqu'un parti depuis six mois. Que ne faut-il pas entendre. Un jour il faudra arrêter de se cacher derrière son petit doigt. Votre fils ne travaille pas parce qu'il a décidé de faire ainsi. Plusieurs travaillent en classe, lui ne fait rien, sauf quand je l'y oblige personnellement. Plusieurs travaillent à la maison. Lui ne fait rien. Ah j'oubliais, ils ne sont pas persécutés par les autres. Je peux l'affirmer, en raison de l'extrême vigilance que nous portons, tous, adultes de l'établissement, à ces situations.

Vous, Madame, vous m'avez accusée de vous avoir fait attendre un quart d'heure, un soir, il y a deux mois. Mon Dieu. Un quart d'heure. Ce soir-là, pendant vingt minutes, j'ai fait le bras de fer avec des élèves collés pour manquements divers à leurs devoirs d'élève. Je suis sortie cinq minutes trop tard, honte à moi.

Tout y est passé ce soir. Comment? Il y avait l'éducateur chargé de prévention violence avec moi en classe cet après-midi, pour s'assurer que le contrôle de la classe de votre fils se passerait bien? Mais quelle honte! "Quand j'étais élève, il n'y avait pas ça!" Vous nous reprochez donc de mettre en place des moyens pour que votre fils travaille dans de bonnes conditions? Dites-moi que c'est un cauchemar, que vous n'existez pas, Monsieur. Dites-moi que je vais me réveiller.

Devant l'absence de travail à la maison, un collègue de maths estime inutile de donner du travail à la maison? Mais quelle honte! "ça prouve que même les profs ont renoncé avec cette classe". Ce qui est faux.

Merci Monsieur, de mépriser le travail que nous essayons de faire, envers et contre tout dans cette classe. Je devais justement voir le principal pour mettre en place un projet pour cette classe, quelque chose pour les faire réfléchir sur l'importance de la scolarité, sur les règles de vie en société. Merci de mépriser nos efforts. Merci d'achever de nous briser. Parce qu'en agissant comme vous l'avez fait monsieur, en éduquant votre fils comme vous le faites, c'est nous et c'est lui que vous brisez.

Je n'ai pas de haine pour mes élèves, même les pires. À vrai dire, je n'en ai même pas pour vous. Mais j'en ai pour l'immense stupidité dont vous faites preuve et qui vous aveugle, qui est à l'œuvre et qui détruira votre fils. Il aurait pu être quelqu'un de tellement bien.

Quelle tristesse.

Sans l'appui des parents, tout notre travail est vain.



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21/08/2013

Quant un enseignant fait exploser le rapport de la cour des comptes "Gérer les enseignants autrement"...

À lire si ce n'est pas déjà fait, cet article d'un collègue - clic - (celui-là même qui avait si affreusement dupé ses élèves en pourrissant un peu le web...) décortiquant soigneusement un des derniers rapports rendus par la cour des comptes. Pour aller vite, il a refait le travail que la cour aurait dû faire, qu'un journaliste aurait dû faire, qu'un chercheur en sciences de l'éducation aurait dû faire...

Conclusion de ce article (pour vous motiver à le lire, tant il est instructif): 

"Que peut-on bien conclure ? Il s’agit d’un rapport uniquement à charge contre les enseignants"

- l'augmentation des moyens financiers du système éducatif français n'est pas un scandale parce qu'elle aurait été accompagnée de la baisse du nombre d'élèves - ce nombre stable entre 2000 et 2009 a augmenté depuis 2009. 

- cette augmentation "s’explique mécaniquement par la part des pensions de retraite de plus en plus importante dans les dépenses d’éducation"

- en valeur relative, la France fait partie des rares pays dont les dépenses publiques d’éducation ont diminué entre 2000 et 2009. La dépense relative de la France n’est donc pas excessive mais simplement moyenne. 

-  "pour des résultats scolaires dans la moyenne, la France dépense beaucoup moins jusqu’à la fin du premier cycle du secondaire que la moyenne des pays de l’OCDE (...)"

- pour des questions (non négligeables) de différence démographiques par rapport à ses voisins, "le système éducatif français, sans briller, est donc économique et plutôt efficace (...) Rien n’est plus faux que d’affirmer que « la France consacre à l’éducation des moyens comparables, voire supérieurs, à des pays qui assurent mieux la réussite de leurs élèves » (p. 135)".

Il y a même des vrais morceaux rigolos dans ce rapport : 

La Cour n’hésite pas à présenter un graphique caricatural (p. 110) qui souligne en rouge vif l’augmentation du nombre des enseignants et la baisse du nombre des élèves depuis 1993. Ce graphique montre pourtant à partir de 2002 une baisse continue du nombre d’enseignants dans le second degré et même une reprise à la hausse du nombre des élèves à partir de 2008.


Je ne sais pas, moi, quitte à être malhonnête jusqu'au bout, j'aurais coupé le graphique pour éviter de montrer l'évolution depuis 2002 que le commentaire écrit ignore superbement... 

"Mais surtout ces chiffres sont grossièrement trompeurs : il s’agit à nouveau de valeurs relatives" puisqu'il s'agit d'un indice basé sur les chiffres de 1993, donnés de ce fait comme valeur de référence... 

La Cour omet de le rappeler mais le taux d’encadrement en France est le plus bas de l’OCDE
Les élèves sont de plus en plus nombreux à accéder au niveau Terminale et à obtenir le Bac... Des élèves beaucoup plus nombreux jusqu’au Bac supposent des professeurs plus nombreux dans le second degré, en particulier avec des filières professionnelles par définition plus coûteuses en postes (filières nombreuses, classes réduites pour des raisons matérielles).
[l]e graphique [de la cour des comptes] montre pourtant tout le contraire
 Peu importe ces chiffres. Les véritables intentions  de la Cour des comptes se dévoilent peu à peu : « Une gestion améliorée des ressources humaines de l’éducation nationale, dans le contexte fortement dégradé des finances publiques françaises, est une nécessité » (p. 112). Par « gestion améliorée » il faut comprendre « évolution de la masse salariale » (sic), doux euphémisme pour désigner une « baisse globale des effectifs » (p. 113).

Et pour quelle raison la Cour insiste-t-elle sur la rémunération la plus élevée relevée dans son étude et dont elle donne le décompte précis ? C’est qu’un montant exceptionnel de 107.339€ pour un professeur de CPGE (p. 81) est sans doute plus propre à frapper l’imagination qu’une rémunération de 21.612€ en début de carrière dans le premier degré et qu’il faut calculer soi-même à partir de l’annexe p. 167.

Et enfin, à propos de la rémunération des enseignants
la Cour prend des précautions oratoires et utilise le conditionnel (qu’elle n’utilise pas à propos de l’évolution des dépenses ou des performances du système éducatif français) : « Les enseignants français auraient connu une perte de pouvoir d’achat sur les trois niveaux d’enseignement considérés, entre -7,0 et -8,3 % depuis 2000, alors que le pouvoir d’achat des enseignants des autres pays serait en moyenne en hausse, dans l’OCDE, comme dans les pays européens. » (p. 104)

L'analyse continue sur les préconisations de la cour, je vous en laisse prendre connaissance. En ces temps de réception de la feuille d'impôts sur le revenu, je ne suis pas en train de réclamer nécessairement une hausse de ma rémunération. L'étude de l'ensemble des salaires montre d'ailleurs que le problème est général et non particulier ni aux enseignants ni à la fonction publique. Mais cette analyse montre bien un des travers de notre système politique: gouverner d'après les rapports statistiques (auxquels on fait dire ce dont on a envie) en découpant nos vies en morceaux, ici l'éducation nationale, là les hôpitaux publics... sans saisir le problème des dépenses gâchées dans sa globalité. La réforme des universités n'a pas amélioré leur fonctionnement, il n'y a toujours pas assez de crédit pour embaucher ni pour payer les heures supplémentaires faites par les enseignants titulaires (qui n'ont pas le choix) tandis qu'ils perdent un nombre monstrueux d'heures en réunions " de concertation" pour refaire tous les deux ans les "maquettes" c'est-à-dire l'offre de formation... Mais pendant ce temps, dans les labos, on en est encore à l'application du principe "dépensons tous les crédits de fonctionnement sinon l'année prochaine nous en aurons moins"... Découpons, découpons les problèmes, je vous dis...

Bonne lecture! 


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23/05/2013

"Sale pute!"

Pendant que les lecteurs du Figaro réclament que les professeurs travaillent plus...

"Sale pute!" 

L'insulte a claqué. Jordan a encore fait parler. Les paroles s'envolent, sauf quand elles sont inscrites dans un rapport d'incident. Un de plus. Cette fois, ce n'était pas pour moi. Je l'ai appris bien après, en même temps que la nouvelle de la sanction. 8 jours d'exclusion. 8 jours pendant lesquels nous, les professeurs et quelques poignées d'élèves tranquilles, allons respirer, travailler tranquillement. 

8 jours. 

L'outrage à agent public est un outrage à l'égard d'une personne chargée d'une fonction publique ou dépositaire de l'autorité publique. Il constitue un délit du code pénal français pouvant être puni de 6 mois d'emprisonnement ferme et de 7 500 euros d'amende.

Jamais appliqué, sauf - peut-être - quand la victime est un magistrat. Alors que dit le code de l'éducation? En cas de violence verbale, le code de l'éducation prévoit une "procédure disciplinaire", ce qui peut désigner aussi bien un, deux, trois jours d'exclusion (ou plus), qu'une exclusion définitive. C'est à la discrétion de la direction. Quand j'avais eu droit au très élégant "Ta mère la p***te" en septembre, l'élève était parti en atelier relai pendant quelques semaines. Il ne fallait pas trop attendre.

J'espérais que Jordan partirait sous d'autres cieux. Je suis fatiguée de le voir harceler un de ses camarades, fatiguée de le voir frapper ses camarades (mais ce n'est qu'un jeu, n'est-ce pas). Oui, j'ai fait mon travail, rapport, rapport, rapport... Mon pouvoir s'arrête là. 

Et puis j'ai déjà Yilmaz et Bakir sur les bras, sans oublier Doanay. Alors si Jordan se calme pendant l'heure, accepte de se limiter à ses menus travaux de découpage et de coloriage, dans un silence relatif, c'est déjà ça. Je me demandais pourquoi Jordan était beaucoup plus calme depuis une semaine. Presque docile. Aussi improbable que de voir un mamouth en tutu. Maintenant, j'ai compris. 

Je ne parlerai pas de mon quartette improbable de filles toujours à traîner dans le couloir et à glousser, qui se transforment pour deux d'entre elles, Imen et Fadime, en plantes vertes dès qu'elles ont posé un pied dans ma classe. La troisième, Sara, est plutôt douée par rapport aux autres filles du quartette, mais l'âge bête la frappe de plein fouet et elle a renoncé à tout travail sérieux. C'est une gentille fille au fond, juste infiniment pénible. Dans quelques années, ça ira mieux, si le retard qu'elle est en train de prendre ne la plombe pas pour le lycée. Quant à Tugché, Tugché... elle hésite, suivant tantôt Imen, tantôt Sara quand elle arrête ses bêtises et se met à travailler exceptionnellement dans la dernière demie-heure du contrôle. Mais sans avoir appris, c'est difficile pour les deux, surtout pour Tugché qui est loin d'avoir les capacités - normales - de Sara. 

Imen est une énigme. Je me demande si elle est profondément stupide, ou si elle fait semblant. Hélas, je ne crois pas qu'elle fasse semblant. Je ne sais même pas si c'est la stupidité le problème. C'est un mélange d'incapacité complète et d'ego tellement surdimensionné que ça en devient incroyable. Ce matin, elle m'a regardé pendant une bonne minute, la tête hochée, l'oeil en coin, façon coquette qui veut séduire, sans bouger. Quand je lui donne une feuille, elle la prend en se contorsionnant, avec forces minauderies, m'envoie une oeillade et soupire un merci qui ressemble à un miaulement. Mais cela n'a rien à voir avec une stratégie de séduction. Et c'est là que je me dis qu'elle peut être intelligente. Elle joue le rôle de la ravissante idiote, jusqu'à l'outrance. Ça l'occupe. Peut-être que ça détourne l'attention, on ne peut pas la prendre au sérieux. Je me demande quel univers familial a pu donner cette créature. 

Son seul défaut majeur est sa totale incapacité à se taire. Fadime, sa grande copine, ne partage pas tout à fait ce travers. Elle est muette comme une carpe la plupart du temps. J'imagine que derrière, il y a des parents qui ne souffriraient pas le moindre mot dans le carnet, alors elle se tient à carreau. En revanche, la famille ne semble pas accorder le moindre intérêt au bulletin de note. Je fais garderie, avec elle aussi.

Filles et garçons, en majorité Turcs ou d'origine turque, ne se parlent pas dans cette classe, à l'exception de deux des sérieux, non Turcs, qui parlent à peu près à tous. Il faut en même temps pouvoir supporter la grossièreté de certains. Dire qu'ils sont mal dégrossis, c'est encore un euphémisme. 

Le jeu de Yilmaz, Bakir et Doanay en ce moment, ce sont les bruits de bouche. Bruits d'animaux, bruits de moteur, respirations fortes façon râles amoureux - j'imagine qu'ils cherchent à me faire rougir, je suis une femme jeune, je vais sans doute comprendre l'allusion et m'énerver.

Sinon, ils parlent entre eux, à travers la classe, à mi-voix, mais cela forme un tapis sonore gênant pour les autres qui tentent de travailler. Enfin, "les autres". Les quatre autres qui veulent travailler. 

Solitude. 

Même une heure de contrôle demande une attention de tous les instants. Pas moyen de corriger une copie pendant l'heure. 

Et ce n'est qu'une heure. Après, arrive ma "bonne" classe de 5e. L'ambiance est pourrie, mais cette classe réunit des élèves "capables de" ou bien réellement sérieux.  Et quelques cas lourds, mis ici pour leur donner leur chance, s'ils font des efforts. Il y a la minette agressive  jusqu'à l'incorrection complète dès que, lasse de voir que le travail n'est toujours pas fait, je lui demande son carnet. Travail pas fait. C'est monnaie courante dans les autres classes, nettement moins dans celle-ci. C'est tellement courant qu'au lieu de sanctionner de tels manquements, je récompense le travail fait à la maison. Une note de principe, 5 points sur 20, coef 0,5 à qui ouvre son cahier à la maison.
Il y a les bavards pathologiques. Les grandes grues bêbêtes, plus intéressées par leur maquillage et la comparaison de leurs sacs à main que par leur bulletin.
Et heureusement, il y a mon curieux qui me bombarde de questions sur l'église au Moyen Âge. Ce genre d'élève est ma consolation. Il est seulement encore un peu immature, mais la raison lui viendra plus vite qu'à celle avec laquelle il se chamaille fréquemment. Parce qu'Océane est sans doute l'élève la plus vulgaire, la plus insolente et la plus insupportable de toute la classe, voire de toutes mes classes. Egocentrée, couvée par ses parents - qui commencent à s'en mordre les doigts, vu qu'elle ne les traite pas mieux que ses professeurs -, absentéiste dès qu'elle a le moindre bobo, incapable de se taire ni de supporter la moindre contrainte, elle ne cesse de geindre et de contester, me parlant encore moins bien qu'à son chien... Vous voyez Giselle, celles des caprices, racontés par la comtesse de Ségur? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, j'ai en face de moi une autre Giselle.

Et puis les 5e, ceux de l'autre 5e, qui m'ont tuée. Incontrôlables. Obtenir le silence et leur attention est une gageure. Mais je refuse de les laisser aller. Avec eux, j'ai un retard énorme dans mon programme. Tellement de temps perdu à faire du maintien de l'ordre. Il y en a deux, là-dedans, qui relèvent de l'hôpital psychiatrique. Incontinent de la parole et du geste, de grands mouvements et un débit de parole, réellement ininterrompu. Ils parlent seuls, ou entre eux, tombent à l'occasion de leur chaise à force de remuer, s'insultent ou débitent un chapelet d'ordures. Ce matin, j'ai failli avoir une mini guerre de religion, parce que nous faisons le chapitre sur la chrétienté médiévale, ce qui ne plaisait pas à mes 5e musulmanes, réclamant un cours sur l'islam. Cours qui a déjà eu lieu en début d'année. Un de mes deux ultra-agité, sans doute d'origine croate, a aussitôt enfilé le rôle du chrétien outragé. Bras de fer d'une heure, je les laisse sortir avec des envies de violence. 


Puis encore une 6e, pas la pire. Des gamins gentils mais remuants qui ne se rendent pas compte que je n'en peux déjà plus après trois heures. Que je suis tellement fatiguée en trois heures que j'en serais presque à m'effondrer en larmes, juste de fatigue, je veux du silence, plus de cris, plus d'irrespect, plus d'injures, plus d'égo en furie, plus de mépris ni d'indifférence pour le savoir. Où est passée l'humanité... Je ne sais plus. 

Pause déjeuner. J'allais oublier le rdv avec les parents d'un élève de 6e passé en commission éducative. Le rdv hebdomadaire. Des parents désespérés, à peu près aussi à bout avec leur rejeton que moi avec mes classes ce midi. Et là, la claque jaillit. On calme la mère, je me tais, je laisse la famille demander des comptes au môme qui en une semaine a accumulé insulte xénophobe, incitation au vol, gifle sur un camarade, exclusions de cours et autres joyeusetés. 12h30, il faut mettre fin à l'entretien. Je dois déjeuner, à 13h20, ça sonnera, il faudra reprendre, encore une 6e, celle dont je suis PP (professeur principal). Celle que je ne peux tenir qu'en jouant le rôle d'une sorcière affreuse. Il faut dire que les filles de cette classe sont redoutables dans le rôle de harpies. Pour un mot de travers, elles sont capables de hurler à pleins poumons et de se battre comme n'oseraient pas les poissonnières des anciennes Halles. Avant les dernières vacances, je ne sais pour quel motif, leurs hurlements ont rempli la cage d'escalier, sur trois étages. Cette semaine, c'est une histoire de liste des beautés et des laiderons de la classe, répandue via Face de bouc qui alimente les pleurs et la furie de mes charmantes petites 6e. Le reste de la classe ne vaut guère mieux, à quelques exceptions près. Mais ils ont quand même réussi à intégrer que ma classe n'est pas leur terrain  de jeu, en général. À grand renfort de punitions, de mots dans le carnet, d'appel aux parents voire de convocations, j'ai peu à peu réussi à obtenir une ambiance de travail. Mais mon tas de conjugaison reste souvent posé sur le bureau, bien en évidence. Parfois, je me dis que je dois terroriser les élèves normaux, égarés dans ces classes.
Petite lumière, hier, une petite de cette 6e infernale m'a demandé si, en fin d'heure, elle pouvait venir me réciter sa leçon, qu'elle savait sur le bout des doigts. La même qui n'apprenait pas ses leçons au premier trimestre, pauvre petite perdue dans une famille qui s'est recomposée, un peu perdue mais aimée par une mère et un beau-père aussi attentifs qu'on pourrait l'espérer. Pas si perdue, petit rayon de soleil.

Cinq heures de cours aujourd'hui. Un résumé d'article à écrire en anglais, une matinée de samedi encore au collège après le mercredi après-midi d'hier consacré aux oraux d'histoire des arts (en 3e), quatre paquets de copies à corriger pour lundi, au moins deux chapitres complets à préparer de toute urgence, plus les questions brèves que j'ai éliminées dans l'après-midi. Ma bonne 5e m'a surprise. Ils connaissent presque tous l'organisation de l'église au Moyen Âge. En revanche, les 4e de ce matin sortiront du collège sans savoir placer Napoléon ni la IIIe République sur une frise, sauf les quatre mêmes. Qu'y puis-je? 

Mais il paraît que je dois travailler plus. Enfin, ce sont les lecteurs du Figaro qui le disent...


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20/03/2013

Un mercredi ordinaire (l'art d'être utile)

Une matinée ordinaire. 

4 heures de cours. Deux premières à peu près correctes, enfin, une. Durant la deuxième, avec ma 6e faible, nous avons avancé avec la vitesse d'un escargot asmathique. Il s'agissait de décrire deux photos du paysage urbain de Strasbourg. À peine un tiers avait fait le travail à la maison. Bref. 

Récréation de 10 heures, pas le temps de prendre le pause, la course comme d'habitude. J'arrive juste pour cueillir une 5e en pleine explosion. Le mascara a dégouliné sous les larmes. Elle crie, elle éructe, en pleine rage. J'essaie de la raisonner, elle se débat. Les autres tournent autour, curieux de savoir ce qui c'est passé. 

Il faut la calmer, l'isoler d'abord, faire monter les autres. Excédée, je pousse, je hausse le ton, ordonnant à tous de monter sans m'attendre avec la grâce et la douceur de Nicholson dans Full metal jacket. Plus ou moins de bon gré, je réussis à traîner ma bombe vers l'infirmerie, elle n'est pas en état de suivre le cours, seulement d'hurler sa haine "je vais niquer sa mère, sa soeur, sa grand-mère...!" Je crois que toute la famille de l'ennemi(e?) y est passé. Une querelle, une de plus. Avec un peu de chance, demain, elle s'en souviendra à peine et évoquera l'affaire en gloussant de rire.

Dernière heure. Hélas, Jordan n'a pas eu l'heureuse idée aujourd'hui de s'auto-exclure. Il tente bien dès le couloir une escapade vers la vie scolaire (ou la sortie plutôt) mais quand je lui fais comprendre qu'il ne partira pas sans fiche officielle d'exclusion, ses velléités d'échappée belle s'évanouissent. C'est fou le pouvoir d'un morceau de papier. En attendant, il cherche - comme d'habitude - à changer de place, en vain - comme d'habitude, en s'installant de préférence à côté d'un autre qui n'attend que cela pour se distraire. Évidemment, hors de question pour lui de fournir le moindre travail. Pour cela il faudrait qu'il ait son livre. Mais comme d'habitude... a pas. Même noter la leçon, mais quelle idée! Je refuse de le lâcher, il doit copier la moitié seulement. Je le recolle de près, à la sonnerie, et le contraint à ressortir son agenda pour noter le travail. Sans la moitié du cours ni les questions sur le document, c'est purement symbolique. 

Pendant l'heure Yilmaz n'a pas cessé de parler, pas du cours, non, mais avec Bakir qui a l'énergie d'une moule. Je change Bakir de place (au passage, Yilmaz ne reste pas deux fois à la même place en cours, la notion de plan de classe relevant pour lui de l'arbitraire professoral qui risque de provoquer des contestations sans fin, tout comme l'autorité en général). Les bavardages continuent à travers la classe. Je ne calme Yilmaz qu'en sortant une fiche d'exclusion que je remplis tranquillement. Évidemment, le cours s'arrête pendant ce temps. 

En même temps, entre les deux exclusions définitives, les absents pour absence d'envie, les absents pour voyage scolaire, les non-francophones néo-arrivants pas encore scolarisés en classe, je tente de faire travailler onze élèves sur les vingt de la classe complète. Les ennuis étaient prévisibles avec ce groupe dès le début de l'année, les effectifs ont donc été allégés d'emblée. Par la force des choses, ils ont encore été allégés depuis. A force de collectionner des rapports d'incidents (insultes, refus de respecter le personnel, dégradations, jeux dangereux), l'un est parti sous d'autres cieux, pourrir un autre établissement après un échec en atelier relai. Le deuxième a été éjecté après avoir sorti tout son vocabulaire ordurier sur un collègue. Quand je dis tout, c'est tout. Brassens à côté serait passé pour un petit joueur.

Onze élèves? Non, je travaille sérieusement avec deux élèves, quatre en en poussant deux autres. 

L'attention des autres est à peu près nulle. Pourtant il est question de l'iPod, produit choisi dans le manuel pour parler de la mondialisation et des échanges de marchandises (programme de géographie). Je parlerais du XVIIIe siècle, je pourrais comprendre. Même pas.

Je sors à midi en me sentant vraiment utile à l'humanité. En passant, je tombe sur une collègue en train de gérer la dernière connerie de sa dernière classe: un élève a mis de la colle dans l'oeil d'un autre. Parents contactés. Pas disponibles. Pas d'administration, à midi tout est fermé. Heureusement les infirmières sont là. Ambulance. 

Il est 12h15, je referme la grille. Monde de fous. 


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04/03/2013

"Le problème, Madame, c'est juste qu'on est fainéants"


ZEP. J'en ai vu des acronymes à la con. Mais celui-ci est sans doute le plus juste qui soit.

Car les difficultés des élèves ne tiennent aucunement dans une supposée incapacité intellectuelle.

Le problème n'est assurément pas simple et les difficultés scolaires d'un enfant n'ont pas toujours les mêmes causes que celles de son copain, même si des histoires semblables les rapprochent.

Dans ma ZEP, ils ne sont pas vraiment méchants avec les adultes. Enfin, pas en général. Agressifs, régulièrement. Souriants, souvent, aussi. Entre eux, oui, ça cogne, ça insulte, ça reproduit ce que l'on voit à la maison ou dans la rue.

Avec les adultes, peu de violence physique en tout cas. Quand la soupape ne tient plus, des insultes peuvent voler. Bien plus souvent ce sont des insolences, une grande difficulté à se situer par rapport aux adultes. Là encore, ce n'est jamais simple, ce ne sont pas toujours les mêmes histoires.

Si violence à l'école il y a - formule rhétorique, car en ZEP, la violence multiforme est quasi permanente - elle n'est que rarement imputable à l'école. N'en déplaise à Debarbieux qui entonne souvent son couplet sur la souffrance des enseignants en échec, on demande seulement à l'école de régler des problèmes qui la dépassent de très loin.

On enferme à l'école des mômes blessés dans leurs propres familles, qui traînent à 11 ou 13 ans déjà des casseroles ahurissantes, et on en attend des solutions magiques en s'étonnant quand sortent des écoles des éclats de voix ou des coups. De qui se moque-t-on?

Ils ne sont pas bêtes mes élèves, oh que non! Enseigner est un plaisir, avec eux comme avec mes étudiants de l'année dernière. De vous à moi, cela m'étonne et me ravit. Je craignais l'ennui, le désespoir face à leur orthographe chavirante.

En même temps, rien ne ressemble plus à un élève qui ne sait rien qu'un autre élève qui ne sait rien. Tous les deux peuvent placer Louis XIV au XIVe siècle sans même voir où est le problème. Que le premier élève ait 18 ans ou le second 11 ne change rien à l'affaire. Ce qui est intéressant, quelque soit le niveau, c'est d'amener un élève d'un point A à un point B. Apprendre à faire à coup sûr une dissertation impeccable ou apprendre à placer l'Antiquité au bon endroit sur une frise chronologique, peu importe.

L'avantage, c'est que ça m'a obligé à me replonger un peu dans les grandes étapes de la préhistoire --- que je n'ai jamais étudié, sauf vite fait pour l'oral de l'agrég au cas où je tomberais dessus lors de l'épreuve de culture générale. Tout ça pour disserter finalement sur tout autre chose, du genre "Des Afro-américains aux Africains-Américains au XXe siècle". Avoir de la chance ou ne pas en avoir, telle est la question.

Le problème des élèves en ZEP n'est évidemment pas leur capacité intellectuelle.  Ils sont vifs - très... groumph -, curieux, d'assez bonne composition, au moins jusqu'en 4e. À cet âge-là, hélas, la plupart des élèves se transforme en adolescent ou timide jusqu'à la pathologie ou casse-c****lle puissance mille. Ils sont souvent surprenants, autant que fainéants.

Ah! Leur fainéantise. Fainéants, nous le sommes tous. Et assurément, nous le serions comme eux, si nous pouvions ne rien faire sans en payer le prix. J'ai mis face à leur incurie certains de mes élèves. Je leur ai donné à passer deux fois le même devoir, avec entre deux, une correction, sachant que je privilégie l'apprentissage des leçons, sans lesquelles on ne peut rien en histoire. Et aussi parce que nombre d'élèves ne comprennent simplement pas jusqu'aux textes les plus simples et sont incapables de formuler une phrase simple (sujet, verbe, complément, majuscule et point) en 5e. Leur donner des questions sur un texte, leur donner une image à décrire, c'est les plomber. C'est tout sauf mon but. D'abord leur donner confiance.
La deuxième fois, ils avaient appris la correction - c'est-à-dire le cours qui n'avait pas été appris la première fois. Moyenne de la classe quadruplée. Aux devoirs suivants, les leçons n'étaient pas plus apprises qu'au premier. Et ce n'est pas faute de les obliger à apprendre un tout petit peu chaque jour. Trois élèves dans la classe se sont mis au travail. Les autres m'ont dit avec un grand sourire "Le problème, Madame, c'est juste qu'on est fainéants"'.

On ne fait boire un âne qui n'a pas soif - et Dieu sait que les ânes sont intelligents. On ne peut instruire un élève qui n'est pas soutenu ou qui ne va pas bien. Si l'école n'est pas valorisée ou si les échecs ont été accumulés depuis longtemps, si faire des efforts n'est pas systématiquement valorisé, si l'école fait peur parce qu'elle peut donner la réussite mais que les parents y ont échoué...

Ironie, mon chef m'a mis en garde contre la tentation de vouloir les sauver, oeuvre vouée à l'échec. Je les aime bien, mes élèves, mais là où il se trompe, c'est que je ne veux pas les sauver parce qu'on ne sauve jamais les gens malgré eux. Ça, je l'ai appris de mes années d'enseignement à l'université après avoir essayé moults stratégies.

Pourtant c'est le même qui m'explique que nos pires trublions sont mieux au collège que dans la rue, aussi il faut les garder coûte que coûte. Le moins de conseils de disciplines que possible. Quitte à sacrifier les autres.

Ainsi l'école s'enfonce à vouloir ou devoir régler des problèmes qui la dépasse. Je ne suis pas là pour les sauver, mais pour leur tendre la main. À eux de la saisir. Sauf que ce n'est pas simple.

Si l'école est un devoir, comment peut-elle être une chance? Elle est contrainte ou chance, pas les deux à la fois. À contraindre tous les adolescents à rester assis jusqu'à 16 ans ou à tout le moins, à ingurgiter des savoirs de gré ou de force, on ne peut que dégoûter nombre d'entre eux. Et le "plaisir" à l'école comme solution miracle est illusoire, car il est conséquence et non préalable, comme l'artisan a le plaisir de la belle ouvrage, après avoir bien peiné au travail. Plaisir d'autant plus grand que la peine a été grande. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Mais tous ne sont pas faits pour emprunter les mêmes chemins et il faut laisser toujours une porte ouverte. Aujourd'hui, toute issue est condamnée jusqu'à 16 ans, à l'exception de filières type SEGPA pour les élèves ayant de très importants problèmes d'apprentissage ou de quelques filières de pré-professionnalisation à partir de la 4e ou de la 3e.

Leur faire comprendre qu'il faut peiner pour acquérir, mais qu'il n'y a pas qu'une seule voie, une seule manière... Et c'est le contraire que l'on fait. Comment s'étonner?


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25/02/2013

Bienvenue en ZEP!

Bienvenue en ZEP!

En entendant ces mots, je suis restée une seconde sous le coup de la surprise. Ce n'est pas tant le contenu de la formule qui me laisse pantoise que les circonstances.

Cela fait plusieurs mois que j'y suis maintenant, en "ZEP". Je suis dans le bureau de la CPE, la conseillère principale d'éducation. Un bureau que j'aimerais fréquenter un peu moins. Non que la maîtresse des lieux soit désagréable. Elle parle beaucoup, elle bondit, exige, crie à l'occasion. Toujours en mouvement. Le calme, ce n'est pas son truc. Reste à savoir si c'est par nature ou par nécessité. Une déformation liée au métier ou une personnalité exubérante. Parler, parler, parler, avec les élèves - dénouer les conflits, obtenir des excuses, exercice terriblement formel, faire réfléchir, enfin essayer. Appeler les parents, 
"Oui, je sais, votre fils dort, il est 10h du matin, oui mais non, vous me l'amenez tout de suite! 
- ...
- Si, Madame! Tout de suite! 
- ...
- Non, pas à 13h30! Il avait cours à 8h! Et nous le garderons ce soir jusqu'à 17h30, en pénalité pour son retard de ce matin!" 
Imaginez au bout de vagues protestations d'un père ou d'une mère qui ne sait plus ou n'a jamais su qu'il avait autorité sur son rejeton. 
"Vous me l'amenez ou bien je vais le chercher!"
En général, les parents cèdent. Ils ne sont pas habitués à ce ton - sauf peut-être de la part de Mme N.

Ne jamais être surpris de rien en ZEP. Même pas des quelques parents qui n'imaginent pas qu'ils peuvent --- non, qu'ils doivent --- éduquer leurs enfants. Leur préparer des repas chauds et à heure fixe. Un foyer. Des règles de vie. Un coin à soi pour travailler au calme et ne pas leur offrir seulement comme espace de travail le tapis du salon où braille en permanence la télé. Un peu de confiance mais pas trop non plus. Préserver leur enfance. Est-ce le manque de modèle parentaux que ces adultes reproduisent? Dans mon quartier, enfin, celui de mon bahut, être mère c'est avoir un statut. On échappe à la mauvaise réputation, parce qu'une maman, c'est respectable. Alors on est mère très tôt. D'un enfant, de deux, de trois...

À hauteur de professeur, la première misère des quartiers populaires n'est pas économique. Les enfants que l'on voit ne manquent pas nécessairement d'argent. Les parents ne sont pas riches, mais il n'est pas rare d'entendre qu'ils se saignent aux quatre veines pour que leurs enfants aient des week-ends, de petits cadeaux, un téléphone dernier cri... pas comme eux, à leur âge, qui n'ont rien eu de tout cela. Il y a la mère d'origine arabe qui travaille pour que sa fille ait tous ces petits plaisirs qu'elle n'a pas eu. Qui panique de la moindre histoire où sa fille serait impliquée et en même temps la piste dans le bus. Comment lui faire comprendre que cet argent n'est pas nécessaire, qu'elle ne corrigera pas sa propre enfance en pourrissant sa fille de gadgets? Que cette petite fille a bien plus besoin d'un peu de temps pour qu'on suive son travail et en même temps un petit peu de confiance pour la responsabiliser?

Dans l'échelle du pire, il y a l'enfant qui n'aurait pas dû être là. Celui-ci, bien des années après, n'a pas de chambre à lui - il était si fragile, on craignait que... Le père, au chômage depuis vingt ans, désespéré et dépressif, qui se torture à ressasser ses malheurs et qui, en les ressassant, entraîne sans le vouloir ses enfants dans la spirale de l'échec. Il parle comme on se confesse, le regard baissé et toute sa souffrance au bord des lèvres. La "maladie" de la mère, ce petit qui n'était pas attendu, qui 11 ans après n'a toujours pas de place au foyer, mais ce n'est pas qu'on ne l'aime pas, vous comprenez, c'est qu'on ne peut pas faire plus, l'appartement est si petit et l'aîné n'est pas gentil avec lui, vous comprenez...  Mais bientôt le grand va partir, bientôt cela ira mieux. Hélas, parfois, bientôt c'est trop tard, aussi. Pauvre môme qui n'a même pas un coin à lui, un étranger dans sa famille, que l'on rudoie parce qu'il laisse ses affaires traîner partout. Le comble.

Il y a ceux qui, voyant de loin leur fils ouvrir ses cahiers pendant une demie-heure, se convainquent que les devoirs sont faits. Ou qu'ils sont faits dans la chambre, leur fils y reste d'ailleurs consciencieusement le soir. Ils oublient juste que dans la chambre, il y a une télé, offerte pour le récompenser de ses efforts à l'école. Enfin, pour l'encourager à travailler, parce que ce n'est pas un foudre de guerre. Il y a cette mère qui élève ses fils comme si elle était seule, capable de me dire calmement "à la maison, j'ai trois enfants, mon mari et mes deux fils. Aucun ne sait résister aux tentations". À bout de force, après des mois d'alerte et de négociation avec son mari, elle réussit à le convaincre qu'il faut envoyer le fils en pensionnat, parce qu'à la maison, ce n'est plus possible.

Et puis il y a les parents courage. Des mères isolées qui s'épuisent au travail, peu ou pas qualifiées, mal rémunérées, jusqu'à pas d'heure. ll y a celle qui tient aussi strictement que possible des fils remuants. Un coup de fil ou un entretien transforme son numéro 3, joyeux drille, en clown triste. Le clown se tient un mois puis glisse à nouveau en douceur sur la mauvaise pente. Avec cette mère, la première conversation avait commencé comme une attaque en règle contre moi, la prof, qui ne comprenait pas ce que c'était que d'avoir des enfants, la preuve, je donnais des rendez-vous le samedi. Comment lui dire?... Menue à en être maigre, elle élève trois fils, ses fils pour de vrai cette fois, en serrant la vis par crainte des bêtises --- elle sait par expérience que les bougres ont de la ressource en la matière --- et en s'épuisant à son travail d'aide soignante. Il faut compatir, prêcher et espérer que le prêche sera utile.

Et si ce n'est pas devant un père ou une mère, dépassés et pas toujours francophones, alors on prêche devant le grand frère ou la grande soeur - celle-là, la seule de la famille à "s'en être tiré" qui aimerait bien aller faire son BTS à 60 bornes de là. Mais le père n'aime pas l'idée que sa fille aille étudier seule à 18 ans. C'est la même qui évoque avec la CPE ce que sont devenus les anciens du collège, de quoi faire l'inventaire de tous les dealers de la ville... D'accord, cette grande soeur, ce grand frère ne sont pas les responsables légaux mais puisque l'on n'a pas le choix...   

Cette autre mère encore, très jeune, on devine une adolescence compliquée qu'elle n'arrive pas à quitter, un compagnon en prison et déchu de ses droits. Une petite fille, sa petite fille, qui part en vrille, teste les adultes, cherche le conflit. 

Il y a la mère pleine de gentillesse mais qui ne sait pas trop y faire avec l'ordinateur, alors c'est Facebook et les querelles de filles dans le quartier, et jusque dans le collège. Les défis et les bêtises à 11 ans. Et comme maman ne sait rien, on s'en moque, on lui parle comme si elle, la mère, était la petite fille. Mais c'est la petite fille de 11 ans qui pleure encore la nuit en faisant des cauchemars, depuis que son papa est parti de la maison.

Souvent il faut faire ses devoirs seul à la maison, car quand la mère rentre, il est tard, c'est presque l'heure d'aller au lit. J'en vois qui diront encore qu'il est anormal qu'une mère travaille. S'ils ont une solution pour faire face à l'abandon par le père, je suis sûre que ces mères seront preneuses. Messieurs les pharisiens, laissez là vos pierres et passez donc votre chemin.

Faire ses devoirs seul, ou ne pas les faire. J'ai --- entre cent autres --- un marmot comme cela dans une de mes classes. Il fait ses devoirs seul. Une discussion avec la mère m'a fait comprendre qu'elle a une très mauvaise image de l'école. "Il ne faut pas qu'il y passe trop de temps", m'a-t-elle répondu quand j'insistais pour que Jérémie soit inscrit à l'aide aux devoirs, histoire de ne pas le laisser seul à la maison. Pauvre petiot qui empeste le tabac, tout autant que ses cahiers, mais qui s'accroche, plus ou moins bien selon les jours.

Dans les quartiers pauvres, contrairement à ce qu'agitent le Front national ou l'UMP, ceux qu'on voit le plus, ce sont les parents qui s'épuisent au travail, légal ou pas légal. Leur obsession, garder leur travail, quitte à y laisser leur santé.

C'est un maçon qui prend des chantiers dans toute la région, part à 6h et rentre à 19h, un maçon qui n'a plus de tendons aux mains à force d'accidents. Qui a franchi les frontières, il y a quelques années, en clandestin sans doute, qui a sans doute aussi tout connu de la guerre de l'ex-Yougoslavie et de la misère. Il parle tout juste français. Il est sans doute illettré, ce qui a permis à son fils de le rouler dans la farine et dans les grandes largeurs... quoi de mieux que de profiter de l'ignorance de son père pour lui faire écrire des mots qu'il ne comprenait pas?

La mère, on ne la voit pas. Il paraît que les instituteurs l'ont vue, il y a quelques années. Depuis, elle s'est radicalisée et ne sort plus de chez elle seule ni sans se couvrir de longs voiles noirs, les mains gantées. C'est à peine si on apperçoit les yeux. Un jour, exceptionnel, le principal a réussi à la faire venir jusque dans son bureau, lors d'une énième bêtise du fils.

À la maison, le père n'a pas l'habitude de prendre de gants, lui, une semaine d'exclusion à la maison, et le fils n'a durant ces sept jours qu'un repas par jour, mais la dose de coups de ceinture. Ce père oublie trop souvent que son enfant est encore trop jeune pour faire seul la différence entre justice et loi du plus fort, trop jeune pour entendre un certain vocabulaire. Ce fils qui reproduit probablement ce qu'il voit de son père. Qui sait que les menaces de son père --- le renvoyer "là-bas" --- resteront en l'air. Cela donne une petite crapule musclée qui joue les gros bras pour le premier qui a insulté le Coran ou un copain. Et qui mate à la récréation, avec ses copains, les derniers pornos sur son téléphone. À 11 ans, c'est un peu tôt, pourtant.

Le plus consternant, ce sont les parents qui sur réagissent quand des enseignants les appellent, parce qu'entendre parler de leur enfant est une honte. Mais sauf si nous allons au devant d'eux, le carnet n'est pas signé, les devoirs ne sont pas vérifiés. Un enfant ne doit pas faire parler de lui. Ils s'en occupent donc peu, sauf quand l'honneur de la famille est atteint. Et même pas pour une histoire d'allumettes. L'honneur atteint, ça commence avec un coup de fil du collège. Hélas, ces enfants-là sont les mêmes qui feraient n'importe quoi pour attirer l'attention de leurs parents. Et ils le font. C'est alors un combat muet qui s'engage, à qui détestera l'autre le plus fort. Les regards, les échanges non verbaux crient la violence : "Tu me fais honte!" hurlent les uns. "Tu ne me regardes pas!" répondent les autres.

Pour d'autres, le collège est une sorte de garderie, la garderie de l'honneur de leur fille, celui aux allumettes, cette fois. Peu importe les résultats, son attitude en classe, il faut surtout qu'elle ne traîne pas dans le quartier et rentre à l'heure. Au bout, un mariage, une vie au foyer, peut-être en France, peut-être ailleurs. L'origine des parents joue bien peu, en dehors de la maîtrise de la langue pour les enfants. J'en ai connu des parents comme ça qui étaient on ne peut plus "Français". Bien des histoires évoquées ici pourraient être des morceaux de la mienne, à  quelques détails près, quelques détails clé.

Suspicion de violences, mais comment faire? Des signalements au procureur? Il y en a tant. Et puis, sans preuve... Et tellement d'affaires classées sans suite. À quoi bon? Juste des paroles, des allusions. L'arme? Des claques, des coups de ceinture.  Voire de marteau.

Parents frappés, épuisés, enfants blessés et pour longtemps.

Alors pour un rien, et on se fait appeler "Maman" par ces mômes --- et je ne parle pas des petits 6e --- sans que l'on sache vraiment si c'est un acte sincère ou une petite manipulation de la part de gosses déjà rompus aux astuces de tout genre, pour obtenir ce qu'ils veulent. Même si la seule seule chose nécessaire, un cadre stable et affectueux, ne leur sera jamais donné. Ce qu'ils ont vécu n'excuse certainement pas tout. Mais comment leur en vouloir? Il y a un grincheux qui me dit que je suis victime du syndrome de Stockholm. Peut-être bien. Pauvres mômes quand même.

Ce qui est sûr, c'est que la misère n'a pas le visage qu'on lui imagine tant qu'on ne l'a pas croisée. Et cette misère-là n'est pas économique.

Pour tous ceux-là, le quartier, c'est leur famille. La rue est plus chaleureuse que l'appartement familial. Le collège, leur repaire, où ils pensent trouver de quoi compenser dans leur tête et dans leur coeur le manque de repères.

L'école, lieu de perdition. Ou lieu de survie. Pas comme à la maison où on fait ses punitions pour agitation en classe ou bavardage, par terre, devant la télé des parents. Ou alors on supplie les adultes du collège de les laisser rester là, plutôt que de rentrer à la maison. Et surtout on joue les caïds, pour cacher ses blessures ou parce qu'être un loup pour les autres est le penchant naturel de l'homme.

Tout cela en entraînant dans sa chute le petit frère ou la petite soeur, qui ne va pas nous faire la honte de devenir un intello. 

Car, eux, ils sont durs, ils sont malins, pas des boloss. Ils ne sont pas comme ces petits mignons qui transpirent l'amour et la gentillesse, l'envie de réussir à l'école, de faire plaisir aux parents et aux professeurs. 

Spirale infernale. 


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24/02/2013

Le dernier exploit de la FCPE face aux vilains méchants profs

Le gouvernement veut expérimenter la possibilité de laisser aux parents le choix de la décision d’orientation en fin de 3ème. 
« L’objectif est de promouvoir une orientation choisie et non subie en fin de 3ème et de mieux reconnaître la place des parents dans les processus d’orientation »
Le choix de la voie d’orientation 
« donnera lieu à un dialogue renforcé avec l’équipe pédagogique afin d’accompagner au mieux l’élève et sa famille dans son choix… Ce dialogue se poursuivra jusqu’à l’entretien avec le chef d’établissement lorsque la proposition du conseil de classe diffère du choix de la famille. Mais le choix final reviendra à la famille »
 Cette possibilité sera expérimentée dès la rentrée 2013 « dans différents territoires ».

L'article complet ici sur le site du café pédagogique.

Une collègue a des élèves de ce profil-là, envoyés en seconde et première pro, qui se plaignent haut et fort d'être là contraints et forcés, alors qu'ils voulaient aller en "général". On les a donc méchamment obligés à venir dans une section pleine d'avenir sur le plan professionnel et bien payée qui plus est.
Bien sûr, ils ont traversé le collègue à 10 ou moins de moyenne (notes de vies scolaire incluse) mais si on les avait laissés aller en 2nde générale "ils auraient travaillé". Peu importe qu'ils ne l'aient pas fait pendant 4 ans de collèges, qu'ils aient une écriture d’illettrés, fassent en moyenne 3 fautes par mot, n'aient aucune idée de la syntaxe et assimilent Hitler à "un gars de l'ancien temps qui n'aimait que les blonds et tuait les autres".

Dieu merci, cette profonde injustice qui fout en l'air leur scolarité et leur avenir va enfin être réparée.

Un dernier extrait:
Aujourd'hui, "en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d'établissement. Le chef d'établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d'orientation de l'élève de la condition que celui-ci s'engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d'établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d'appel. La décision de celle-ci est définitive". Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l'on en croit les chiffres officiels du ministère. Cela concerne surtout des garçons. L'écart entre les demandes des familles et les décisions tend à se réduire au vu de ces chiffres. Mais d'autres études ont montré un profond ressentiment d'élèves des filières professionnelles pour leur orientation en fin de 3ème. On sait d'ailleurs que c'est là que se créent la majorité des situations de décrochage. Le gouvernement se rallie donc à une demande de la FCPE de laisser le dernier mot aux familles.
Bien sûr! Ce sont les vilaines équipes pédagogiques qui font exprès de ne pas écouter les pauvres nélèves et c'est pour ça, parce qu'ils sont malheureux de ne pas avoir été écouté que ces pauvres nélèves décrochent! Bon sang mais bien sûr!

Le coup du pianiste qui risque de mourir du cancer du poumon, quoi...

Et si les pianistes avaient de plus forts risques de mourir du cancer poumon parce qu'ils jouent pour la plupart dans des piano-bars... Nan, pas envisagé.
Et si les élèves décrochaient parce que, quelque soit la filière, ils n'ont jamais acquis le niveau suffisant et les habitudes de travail... Nan, pas envisagé.

On n'est pas sortis de l'auberge...
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18/02/2013

Nettoyage par le vide.

Un mois après la rentrée, soit plus de cinq semaines après avoir soigneusement tout transbahuté d'un bout à l'autre de la France ou pas loin, j'ai fait du tri dans mes cartons. J'ai consciencieusement mis à la poubelle tous les papiers de l'IUFM que j'avais gardé de mon année de stage. Je ne les avais pas conservés par nostalgie mais bien plus par peur de balancer des choses utiles quand je reviendrai dans le secondaire.

Un mois après la rentrée, donc, j'ai tout jeté. Des pages et des pages noircies à la main ou à la photocopieuse et qui ne me servaient à rien face à mes classes. J'ai tout au plus gardé quelques compilations d'âneries notées lors d'une matinée d'ennui dans la salle de la ZEP qui nous servait de zoo, pardon, de lieu d'observation des fauves en action.

J'appréhendais beaucoup cette rentrée. Je craignais des tas de choses, qui bien sûr ne se sont pas réalisées, d'où ce grand ménage.

"Tu sais, toi, tu es une intellectuelle, tu n'es pas faite pour le collège!" c'est ce que l'on m'avait balancé pendant mon année de stage. Intellectuelle, donc pas faite pour le collège. Mes collègues actuels ont bien apprécié.

Mais on est un con. On en tout cas était ma conseillère pédagogique. De cette engeance-là qui vous donne des conseils en pédagogie en manquant cruellement du tact le plus élémentaire. Des conseils en pédagogie du genre "Tu sais (main sur le coeur, profonde inspiration, attention, c'est l'heure des confidences), tu sais, l'idéal, c'est que tu leur apprennes le moins de choses possible". Entendez, que le professeur apprenne le moins de chose possible aux élèves. Ils doivent construire eux-mêmes leur savoir. De la part d'une ancienne élève d'une célèbre historienne qui cause régulièrement sur France Cul, c'est fort. Oui mais voilà, les voies du pédagogisme sont impénétrables.
La même encore qui, voyant que j'avais perdu pied face aux élèves, trois semaines après la rentrée, a pris soin de me dire "Oh maintenant, il n'y a plus rien à faire". Ce qui ne m'a laissé d'autre solution que de sortir seule du merdier que j'avais laissé s'installer. J'en ai gardé l'expérience de l'échec face à une classe, de la peur au ventre avant d'aller en cours et des larmes que l'on ravale face aux élèves que l'on voudrait fuir à tout prix. Je sais comment ça se passe et que cela puisse revenir continue à me faire un peu peur.

Je craignais avant tout de ne pas supporter l'indifférence voire le mépris des collègues --- boarf, une thésarde, une étudiante attardée, quoi --- et les adolescents. Pour la crainte de l'indifférence ou du mépris, voir plus haut. Pour le reste, là encore, pesait un reste délicieux de mon année de stage. Passer de la prépa agrég à des 5e, ça a été rude. Les enfants dans mon entourage étaient très jeunes, pas encore adolescents. La fameuse crise d'adolescence censée frapper tout le monde, je n'ai pas souvenir l'avoir connu. Je me suis renfermée un peu plus sur moi, j'ai réglé mes problèmes et mes fringales d'adolescente à grand renfort de chocolat et de mouchoirs. Chez moi, les enfants obéissaient, malheur à celui qui n'aurait pas filé droit et fait parler de lui au collège. Le problème, contrairement à ce qu'avait dit un maître ès formatage lors de cette chère année de stage, ce n'était pas d'être, nous les enseignants, tous d'anciens bons élèves. Rares sont ceux qui ont été bons dans toutes les matières. Mon problème, c'était mon passé de petite fille trop sage. De bosseuse aussi, celle qui s'en est sorti alors que rien n'était gagné, même pas le droit de faire des études loin de la maison parentale quand on est une fille et que l'on a 18 ans.

Solitude. Au secours.

Le mépris et la peur. La crainte du mépris et la peur que ça ne recommence, puisqu'ils, les élèves, étaient annoncés comme épuisants.

Mais une année de ZEP, ce n'est jamais tout à fait ce que l'on croyait. La seule chose qui était sûre, c'est que j'avais des cartons inutiles à balancer.

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07/02/2013

Les bonnes résolutions... (bonne année 2013, au fait!)

Durant les dernières vacances, j'avais écrit une série de billets, du prêt à publier au niveau du prêt à manger qui me nourrit depuis des mois. Même pas eu le temps. Improbable, n'est-ce pas, pourtant...

Une journée ordinaire...

***

Lever 6h15. Premier cours 8h. Ranger les élèves, qui devraient l'être depuis plusieurs minutes, mais rebelles, ils refusent. Monter, premiers cris, obtenir un rang à peu près calme dans le couloir, les minutes passent.

Entrer, allumer l'ordinateur, lancer les logiciels pour afficher les cours - ne pas leur tourner le dos, le moins possible - et pour faire l'appel, sans tarder.

La "vie scolaire" attend les premiers signalements d'absence pour appeler les parents, tirer les élèves du lit, en dépit des parents.

Répéter pour la millième fois depuis septembre "Sortez-vos affaires!" "Vous êtes dans une classe, on se calme et on se tait!" Ils attendent debout, d'autres déjà assis attendent aussi, se retournent et bavardent en m'ignorant complètement.

Les consignes les plus élémentaires ne sont pas enregistrées, il faut répéter. "Qu'est-ce que je viens de dire? "Ahmed! Ooooh! Ahmed! Oui! On se tait!" "Océane! Quelles sont les règles?! On sort le cahier, le livre, la trousse!"

Lutter, à chaque minute, les mettre au travail le plus vite possible. Le dossier rouge, celui des interrogations quotidiennes, il est 8h10, vite, cinq minutes pour vérifier que la leçon n'a pas été apprise.


Quelle était la leçon d'hier avec cette classe? Je regarderais bien sur le cahier de texte électronique, mais le temps de lancer Windows, ouvrir la session, ouvrir Firefox, ouvrir ma session internet, les minutes passent. Je regarde sur un cahier. Afficher la question au tableau en surveillant les éventuels fraudeurs. Laisser cinq minutes...

Pendant ce temps ouvrir le diaporama pour le cours, Internet fonctionne, ça y est je peux faire l'appel. Cinq mois après la rentrée, les élèves n'ont pas intégré une consigne simple, répondre "présent" car du fond de la salle, les voix ne portent guère, surtout sur fond de brouhaha.

Ramasser les interrogations. Faire revenir cahiers et manuels sur les tables. Un oeil sur le cahier de texte électronique. Ouvrir les manuels.

Dire la page, répéter la page, l'afficher au tableau, répéter encore, une fois, deux fois, trois fois. Réclamer que les derniers livres pas ouverts ou pas sortis le soient. Répéter encore la page.

"Antony!"
"Sarah!"

"ON SE TAIT!"

Là, le scénario varie. Selon l'heure, les incidents qui ont eu lieu pendant la récréation, l'interclasse si la journée est avancée, la séance peut être infernale ou studieuse (c'est rare). Lutter toujours, les faire lire, décrire des documents, le graal est atteint quand en lisant un texte comme celui-ci

Durant les 50 dernières années, Addis Abeba, la capitale éthiopienne, a vu sa population passer de 100.000 à 3,5 millions d’habitants. Seulement 5% des déchets qui y sont collectés sont recyclés. Le reste est souvent entraîné vers les rivières et pollue ainsi l’eau. Ce qui provoque bien souvent des intoxications alimentaires, car 60% de l’agriculture urbaine utilise ces eaux usées.

...ils réussissent à répondre à la question "Quelle a été l'évolution de la population d'Addis Abeba depuis les 50 dernières années?" et "quelles sont les conséquences?" 

Tous parlent sans lever la main, sauf les deux ou trois gentils qui ont intégré la consigne et attendent en silence, main levée.

Les autres parlent tous comme s'ils étaient seuls, indifférents aux consignes.

Une gentille, autorisée à répondre...

Mais c'est soudain l'explosion de colère de Jason qui vient de se faire insulter, crie en se levant, Arkan lui répond que Jason a commencé "il m'a dit "Ta soeur, c'est une pute!", et crie à son tour encore plus fort, crier pour les séparer, rétablir le calme très relatif.

Mais les piailleries et les bavardages remontent.
"Attila, retourne-toi!"
- Mais Madame! Il m'a appelé!"
- Et alors?!"

Je le foudroie du regard, Attila tourne la tête comme une girouette, il ne sait plus, il ne sait pas ce qu'il doit faire, il ne sait plus ce qu'il faisait et pourquoi il se fait engueuler. Continuer à parler, rater une blague, se faire engueuler, qu'est-ce qu'on était en train de faire? Il décide de faire semblant, pour éviter les ennuis

"Madame, quelle page?" "Madame, moi! Moi!... Mais c'était quoi la question?"

Attila, perdu, cherche la page. Agacée, je lui redonne la page en même temps que quatre voisins et me détourne "Zoé, reprenez votre réponse!".

Avancer péniblement. Corriger la formulation,
"Non, Zoé, pourquoi dire 'la déforestation, elle a évolué' ? On dit 'La déforestation a évolué'.
"La déforestation a évolué de 100 000 à 3,5 millions"
"Bon, Zoé, 'La déforestation a évolué' ce n'est pas très heureux, pas très clair, quel mot pourrait-on utiliser?"
Pour l'aider au tableau, je dessine des flèches qui montent et qui descendent. Le cours se poursuit.

L'exercice se termine, pas le temps de mettre la correction par écrit. Tant pis. Passer à la rédaction du cours à apprendre, qu'ils leur reste quelque chose de la séance. La "trace écrite" absconse et si pédagogiquement correcte, très IUFMesque. J'ai des parents non-francophones pour beaucoup, "trace écrite", je me marre. "Leçon", apprendre la leçon, je sais qu'ils comprennent tous, élèves comme parents. Pendant qu'ils copient, écrire les leçons à faire pour la prochaine fois.

Ça sonne. Obliger Bilal à copier les devoirs "mais il y a Pronote!" "Non, Pronote n'est pas là pour remplacer votre agenda, vous prenez les devoirs à faire", il bâcle.

Vite fait, je note le contenu de la séance et les devoirs à faire dans le cahier de texte, je range le bureau, et je sors vite calmer la nouvelle classe qui crie dehors. Les ranger, répéter les consignes "On se calme!"... c'est reparti.

Une heure, deux heures, récréation pas le temps de descendre prendre une pause, un élève à chapitrer, remplir le cahier de texte électronique, prendre connaissance d'un mail urgent d'un collègue, de la direction, de la vie scolaire, vérifier les photocopies pour la classe suivante, vérifier l'état de la salle, prendre un papier à descendre pour un collègue, ça resonne, nouvelle classe, les ranger, calmer les cris en montant...

***

Il est 19 heures.  Je me suis effondrée sur le canapé, le regard vide devant la télévision.

Six heures de cours, aujourd'hui, je suis vidée. Une pause d'un peu plus d'une heure à midi. Quand il n'y a pas une réunion à 12h30, un parent à voir, l'agent de prévention violence pour faire le point (et alors c'est un repas au lance pierre en 10 minutes), c'est un miracle.

Une heure pendant laquelle nous vidons notre sac, notre fatigue, les nouvelles sur l'état des classes le matin, les heures difficiles à anticiper. Parler, se parler, évacuer notre colère, notre fatigue, notre impuissance contre la violence, la misère et la bêtise.

Ça sonne. C'est reparti.

Il est 19 heures. Je n'en peux plus. Mon cartable reste dans l'entrée. Depuis une semaine, un petit livre me suit dans mon sac, je n'ai pas dépassé la première page. Je n'attends qu'une chose, une heure décente pour me coucher. Sinon, tous les soirs, je poserais mon cartable et m'effondrerais sur mon lit en rentrant.

Mais il faut manger, un peu. Même plus l'énergie pour cuisiner, j'ouvre le frigo, prends ce qui est prêt. Cuire des pâtes, pppfff, trop compliqué.

21h30, se coucher, sinon demain je serai crevée, traînant mes valises. Moins réactive, je me laisserai déborder. Se coucher, oublier. En attendant demain.


6h15. Nouvelle journée. Sisyphe, pour quel crime as-tu été condamné?


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08/08/2012

À la BnF (Richelieu), t'es pas Parisien? Tu crèves !

Mon titre est un peu violent, il est cependant à la hauteur de l'exaspération qui m'a prise le jour où j'ai eu l'idée - tout à fait saugrenue n'est-il pas - de vouloir prendre en photo les 100 pages de registre manuscrit qui me restaient à lire. 

Précisons tout de suite que le manuscrit en question a été écrit par quelqu'un qui n'a plus mal aux dents depuis longtemps. Les droits d'auteur pour un bidulle du 17e siècle, il faut les chercher. 

"Ah mais non Madame c'est-pas-possib'
- Ah? Mais pourquoi, s'il vous plaît?
- Parce que le règlement dit 40 pages maximum.
- ... (long silence et air héberlué) Quel que soit le nombre de pages du manuscrit? Parce que voyez-vous mon manuscrit fait négligemment 1400 pages, pas 140, nan, 1400. Un zéro en plus. 
- Ah oui, mais c'est le règlement. 
(je crois que je vais emplafonner quelqu'un de la BnF un jour, avec leurs règlements, bref)
- 'tendez, 'tendez, 'tendez, vous êtes en train de me dire que je n'aurai jamais droit en tout et pour tout qu'à 40 de mes 1400 pages. 
- Oui. 
- Or donc, comme vous me voyez je quitte Paris, là, je déménage - hypothèse pure -, je ne serai plus toutes les semaines à Paris, donc les archives de [la BnF] Richelieu, pour moi, c'est fini, F I N I ? 
- (air surpris en face de la gentille dame, si si au fond, je suis tombée sur une gentille) Euh... oui. C'est comme ça, c'est...
- oui je sais, merci, le règlement (au cas où je l'aurais oublié, in petto)
- vous êtes sûre qu'il n'est pas numérisé? 
- (grand sourire carnassier) Oui. S'il était numérisé, je ne l'aurais pas sur ma table et je ne viendrais pas depuis des jours et des jours relever page après page son contenu (in petto encore, le masochisme a des limites, même chez un chercheur qui trouve). Bon, alors, qu'est-ce qu'on fait? J'imagine que pour les photocopies c'est la même limite? 
- Oui oui (avec un air désolé). Mais vous avez le service de reprographie.
 - Oui oui oui, mais étant donné leurs tarifs et leurs délais, non, on va oublier, mes frais ne sont pas payés par mon laboratoire. Je suis doctorante et on m'a déjà bien expliqué que si je photocopiais une thèse c'était pour ma pomme. Une fois ça va. Et mon mari n'est pas millionnaire. 300 euros que cela "m'a" coûté il y a 10 ans pour un registre moitié moins grand que celui-ci. Nan, ça ne va pas être possible. Même 100, non merci. Bien. Je vais donc renouveler ma question: qu'est-ce qu'on fait? Est-ce que je peux me mettre dans un coin avec un dictaphone pour ne pas gêner les lecteurs, je relève vite-fait le contenu en murmurant dans mon appareil et...
- ah ça il faut voir avec l'accueil.
- c'est très aimable à vous, l'accueil, j'en viens, ils m'ont dit de venir vous voir. 
- mais vous soyez, ici ce n'est pas possible, il n'y a pas de place ici pour ça. 
- bon. Donc il n'y a aucune solution?
- je suis vraiment désolée, Madame... Mais ce n'est pas moi...
- Oui, je sais bien, ce n'est pas contre vous. Mais ça ne change rien à mon problème"

Là j'ai tourné les talons, de peur de m'énerver. Ça n'aurait aidé en rien, et effectivement elle n'y est pour rien. 

Je suis dans un état de fureur qui m'arrive rarement. Pas tant pour mes 100 pages. Mais pour un autre registre, 800 pages que je pensais benoîtement exploiter après la thèse pour un dossier prodigieux. Je viens d'apprendre que soit je gagne au loto (et auquel cas je peux habiter en région parisienne autre chose que le 2 pièces dans lequel j'étouffe depuis des années) soit à de semblables fins je divorce et épouse un millionnaire (vu le prix des appartements parisiens, il me faudra bien ça sans la moindre exagération), soit encore je m'assoie sur mon projet.

Le truc pompom on the cake, c'est qu'à la BnF Tolbiac, j'ai shooté un imprimé du XVIIe siècle sans que personne ne trouve rien à redire ce qui ne me semble pas anormal. Because droits d'auteurs aussi trèèèès limités, forcément. Et pourtant il y a aussi un service de reprographie qui n'a pas envie de perdre des clients ou je radote? 

Il y a bien une interjection qui me vient à l'esprit mais ce serait grossier. 

Je n'arrive pas à m'en remettre. C'est à peu près aussi hallucinant dans un genre différent que ce qui est arrivé à une amie sur le point d'accoucher et qui disait avoir eu la proposition de colles l'année suivante dans une prestigieuse prépa. Jusqu'au moment où elle a eu l'innocence de dire qu'elle allait avoir un rejeton. Pouf, ah oui mais non, là, non, ça ne serait pas raisonnable de lui proposer des colles l'année suivante dans de telles conditions. 

Alors Mesdames, épousez des millionnaires, n'envisagez JAMAIS de quitter Paris et n'ayez surtout pas de mômes, sinon les portes se fermeront devant vous. 


Heureusement que dans les centres d'archives en provinces (et mêmes aux archives nationales) ils sont moins... moins... Ouais je vais me taire, encore un qualificatif en forme d'oiseau qui me vient à la bouche. Faut dire qu'ils sont souvent déserts, pour les centres provinciaux (au moins ceux que je fréquente), alors si en plus ils font *** les lecteurs...

Je crois que je cauchemarde, là. 

édit: il semblerait - pas encore de certitude - que depuis 10 ans les prix du service de reprographie ont sérieusement baissé, puisqu'il semble que cela fonctionne désormais ou à la page ou par forfait. Mais 90 euros pour un manuscrit que l'on peut prendre soi-même en photo, j'ai quand même du mal. Alors que je suis prête à laisser un exemplaire de mes photos à disposition de la bibliothèque. Bref.
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