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Une envie de livres ?

14/09/2008

Les règles du métier


Non, les historiens n'aiment pas la poussière ! J'entends déjà les commentaires des rieurs autour de moi ! Nous n'aimons pas la poussière, mais les livres souvent. Mais la vérité est-elle dans le livre ? Les choses sont en fait un tout petit peu plus compliquées que cela. L'historien aime les livres, donc les bibliothèques. Il lit beaucoup, écrit beaucoup aussi. Mais je vous entend déjà penser :"Bah ! Forcément ! L'histoire, c'est juste raconter ce qui c'est passé !" Et là je m'oppose, vigoureusement ! (Vous croyez que j'en fait trop, là ? Ah oui, peut-être... Reprenons : ) Faire de l'histoire, ce n'est pas seulement redire ce que l'on sait déjà. C'est un travail perpétuel qui consiste à reprendre les documents, ou les preuves si vous voulez, à les relire, pour mieux les comprendre et en tirer davantage. Quelquefois, on trouve de nouveaux documents, où l'on explore des sujets nouveaux, des documents jusqu'alors négligés. L'histoire est une enquête : nous devons d'ailleurs le mot "histoire" à Hérodote et ses "Enquêtes" (Historíai en grec).

Aussi, l'historien est à l'occasion un pourfendeur de mythes. Encore faut-il que l'on tienne compte de ce qu'il raconte.

Beaucoup de légendes et de mythes traînent en histoire : l'Inquisition, Galilée, la réputation faite à l'Église de nier l'existence de l'âme des femmes, le servage des paysans avant la Révolution, la Révolution de 1789 mère de toutes les libertés, qui aurait mis fin aux privilèges, à la tyrannie royale, et à toutes les misères, etc.

Il est utile de savoir dans quel contexte et donc, pourquoi sont nées ces légendes.

La vision encore aujourd'hui négative du Moyen Âge et de l'Ancien Régime perdure du fait d'une tradition culturelle et politique faisant naître la France en 1789 et parant les années révolutionnaires de toutes les vertus.

Michelet, Lavisse et d'autres créèrent en connaissance de cause des mythes fondateurs des sentiments nationaux.

Vercingétorix, Clovis, Jeanne d'Arc, Danton et Robespierre appartiennent à un panthéon appris sur les bancs des écoles. Ces héros dans lesquels le mythe finit par l'emporter sur l'histoire, n'en sont pas moins utiles.
Ils sont ces modèles sans lesquels il n'est pas d'identité possible. Nous avons déjà abordé le lien entre mythe et histoire nationale. C'est une constante quelque soit le pays.

Mais il faut savoir faire la distinction entre la légende et la vérité. De manière générale, les réflexes patriotiques peuvent conduire à minimiser des réalités historiques : c'est le cas aujourd'hui encore du génocide arménien de 1911 toujours nié par la Turquie, ou même des massacres des années 1790, sur l'ensemble du territoire français, qui n'ont pas été cités lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française.

Les historiens ont été influencés dans leur travail (et ils le sont toujours) par les idées de leur époque. J'ai coutume de dire qu'un historien voit le passé avec les lunettes fournies par son époque). L'objectivité parfaite est impossible, autant en être conscient. Mais l'objectivité doit rester l'objectif.

Les historiens de formation universitaire, ont l'obligation (en principe) de respecter un certain nombre de règles :

- faire preuve d'esprit critique. Un historien doit prendre du recul, ne pas juger par rapport aux valeurs de l'époque dans laquelle l'historien vit. Il doit toujours chercher à comprendre pourquoi un tel ou tel a agi comme il l'a fait. En quelque sorte, un historien est un avocat aux causes et aux clients multiples.

- faire un effort permanent de neutralité. Là encore, pas de jugement de valeur possible "c'est bien / c'est mal".
Il peut dire que telle décision prise par un empereur a été catastrophique (il juge un fait, des conséquences). Il peut dire que Caligula était fou, sanguinaire. Mais son discours ne va pas consister à juger mais expliquer

- expliquer et ne pas raconter l'histoire : il doit chercher à comprendre la raison
d'être des faits rencontrés dans les sources. Parler de manquement à la tolérance quand il est question d'Inquisition, donc pour des faits qui se sont passés au XIIIe siècle, dans le contexte culturelle, religieux du XIIIe siècle, n'a aucun intérêt, aucun sens pour l'historien. En revanche, il doit essayer de comprendre et de faire comprendre pourquoi les tribunaux de l'Inquisition sont apparus alors comme une solution, pourquoi ils ont été acceptés par la majorité de la population.

- être limpide dans son argumentation : contrairement à un journaliste, l'historien doit citer ses sources, pour que chaque lecteur puisse vérifier que la démonstration repose sur un travail sérieux.

Faites l'essai en librairie : regardez en fin d'ouvrage le nombre de pages contenant les références bibliographiques, les sources (archives, documents de toute nature selon le sujet et sur lesquels repose le travail) et la clarté des indications.

J'ai feuilleté récemment une biographie de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, dans laquelle la page des références archivistiques était d'une indigence à pleurer : à peine deux pages maigrichonnes et vagues et tristes (connaissant bien une partie du sujet, j'ai constaté d'ailleurs des lacunes multiples...). Pas de cotes précises des folios dans les cartons d'archives ou registres cités en fin d'ouvrage. Dans tout le corps du récit, à peine dix malheureuses citations de sources manuscrites, si l'on écarte celles déjà étudiées par d'autres historiens, mais un grand nombre de sources narratives et de seconde main. L'exemple à ne pas suivre et surtout à ne pas lire.

À ne pas respecter les règles du métier, on risque de perdre sa casquette et ses galons d'enquêteur. Ce serait dommage, non ?
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