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Une envie de livres ?

01/03/2009

Brève introduction à l'histoire politique (2)

Pour comprendre l'influence du marxisme sur l'historiographie du XXe siècle, il faut revenir quelques instants sur les principes du marxisme.

"L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte.

Aux époques historiques anciennes, nous trouvons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une hiérarchie variée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous avons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au Moyen Âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs ; et, dans presque chacune de ces classes, de nouvelles divisions hiérarchiques.

La société bourgeoise moderne, qui est issue des ruines de la société féodale, n'a pas surmonté les vieux antagonismes de classes. Elle a mis en place des classes nouvelles, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte.

Toutefois, notre époque – l'époque de la bourgeoisie – se distingue des autres par un trait particulier : elle a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.
Les citoyens hors barrière des premières villes sont issus des serfs du Moyen Âge ; c'est parmi eux que se sont formés les derniers éléments de la bourgeoisie.

La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, les échanges avec les colonies, l'accroissement des moyens d'échange et des marchandises en général donnèrent au commerce, à la navigation, à l'industrie un essor inconnu jusqu'alors ; du même coup, ils hâtèrent le développement de l'élément révolutionnaire au sein d'une société féodale en décomposition.

L'ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait pas aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés. La manufacture vint le remplacer. Les maîtres de jurandes furent expulsés par les petits industriels ; la division du travail entre les diverses corporations disparut devant la division du travail au sein même des ateliers.

Cependant les marchés ne cessaient de s'étendre, les besoins de s'accroître. La manufacture devint bientôt insuffisante, elle aussi. Alors la vapeur et les machines vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture dut céder la place à la grande industrie moderne et les petits industriels se trouvèrent détrônés par les millionnaires de l'industrie, chefs d'armées industrielles – les bourgeois modernes.

La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication. En retour, ce développement a entraîné l'essor de l'industrie. À mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer prirent de l'extension, la bourgeoisie s'épanouissait, multipliant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan toutes les classes léguées par le Moyen Âge." (Marx Karl et Engels Friedrich, (1965), Manifeste du parti communiste, trad. fr., in Œuvres, Économie l, Paris, Gallimard, p. 161-163 (1ère éd. 1848))

Marx et Engels ont présenté dans cet ouvrage leur vision de l'histoire. Depuis les années 1840, la connaissance historique a beaucoup évolué. On fait bien la distinction entre système féodal et système seigneurial (en l'occurence les auteurs désignaient non le système féodal mais le système seigneurial), et bien des historiens de la première moitié du XXe siècle, marxistes convaincus ont tenté de retrouver la vision de Marx et Engels dans les archives et tous les documents utiles pour les historiens.

En 1959, Roland Mousnier (1907-1993), un des plus fameux historiens du XXe siècle, mais non marxiste, écrivait ainsi "Pour certains historiens, le problème [de l'origine sociale de ceux qui, au nom du roi, exercent la fonction publique] est résolu. Ainsi, le bon historien russe Porschnev estime que le "plus pur moyen-âge féodal" règne dans l'économie française du XVIIe siècle que la noblesse foncière "féodale" détient la prépondérance économique et sociale et que l'État "féodalo-absolutiste" est son instrument pour tenir en respect les classes exploitées, paysans et plébéiens des villes."
Il faut préciser que Mousnier n'appartenait ni à l'école des Annales, ni au courant marxiste, et même qu'une polémique célèbre l'opposa audit Porschnew... Pourtant on peut prendre l'exemple d'Emmanuel Leroy Ladurie, qui, dans les premières pages de son Paysans du Languedoc, expliquait s'être rendu compte de l'incapacité du schéma marxiste de l'histoire à expliquer le déroulement de l'histoire.

"En 1955 Raymond Dugranet me parlait, pour la première fois, du compoix languedocien; et il me suggérait d'en entreprendre l'étude: les compoix, me dit-il, sont de vieilles matrices cadastrales, confectionnées seulement dans les régions de taille réelle. Les plus anciens d'entre eux remontent au XIVe siècle. Ils décrivent avec précision, en surface, nature et valeur, les biens des maîtres du sol. Ils rendent possible une histoire longue de la propriété; ils peuvent donc jeter une lumière décisive sur la conquête lointaine de la terre par le capital: autrement dit sur l'un des aspects essentiels de la naissance du capitalisme (...) la tâche paraissait lourde (...) mais j'étais fasciné par les origines du capitalisme. Je décidais de suivre les conseils de mon ami. Les premiers résultats ne trompèrent pas mon attente: et je trouvais d'abord dans les compoix, exactement ce que j'y cherchais; à savoir l'action classique des rassembleurs de terre capitalistes, déjà décrite par Lucien Febvre, Marc Bloch (et tant d'autres) Peu à peu cependant, mes belles certitudes me parurent nullement inexactes mais insuffisantes (...) mon enquête s'étendait, dans le plat pays, bien loin des petites villes rassembleuses. Et des phénomènes nouveaux -aberrants par rapport au schéma traditionnel, à l'hypothèse de travail initiale - sollicitaient mon attention. Le processus de concentration perdait sa simplicité linéaire". Il décrit ainsi qu'il a découvert des vagues successives de déconcentration puis de concentration de la propriété; et quand il y a concentration, c'est au profit de la micro-propriété paysanne.

"C'était la mésaventure classique; j'avais voulu m'emparer d'un document, pour y déchiffrer les certitudes de ma jeunesse; et c'était le document qui s'étaient emparé de moi, et qui m'avait insufflé ses rythmes, sa chronologie, sa vérité particulière. Les présuppositions initiales avaient été stimulantes; elles étaient maintenant dépassées". (E. Le Roy Ladurie, Les paysans du Languedoc, p. 5-6, Champs Flammarion, 1969.)

Je crois que cette formule ( "Les présuppositions initiales avaient été stimulantes; elles étaient maintenant dépassées") résume très bien les mouvements d'idées qui portent les uns après les autres l'écriture de tout étude scientifique. Dans le cas du marxisme, celui-ci a beaucoup contribué à la naissance de l'histoire sociale, de l'histoire économique, statistique. Il a provoqué un fort engouement pour l'histoire des masses, et condamné par là-même l'histoire des grands personnages, de la biographie d'hommes célèbres. Avant que ce genre, goûté du public ne revienne en force...





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