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Une envie de livres ?

27/03/2009

Enquête sur les origines ethniques: et dans quel objectif s'il vous plaît?


Pendant que ronronne dans le poste la voix de Sophie (elle raconte une histoire de co-détenu en préventive enfermé avec un assassin à tendance anthropophage), j'en profite pour vous parler d'un très beau téléfilm passé cette semaine dans la petite boîte à images : Le doux pays de mon enfance, de Jacques Renard, avec Daniel Russo et Isabelle Renauld. Rien à voir avec le cinglé anthropophage dans le poste.
"Le doux pays de mon enfance" c'est, me disais-je au début de la séance, le genre de téléfilm devant lequel je comate le soir, quand je ne suis plus capable de rédiger une ligne de thèse (qu'est-ce qu'elles ont toutes à se mettre à sautiller, ces p*%£$§! de lignes, passé 20 h... !) sauf que là, au lieu de la bêtise qui m'exaspère au bout de cinq minutes, j'ai été enchantée jusqu'au bout...

Monique et Roger Joly sont mariés depuis 17 ans. Ils ont deux garçons et leur fille, Chloë, a déjà 16 ans. Directeur commercial estimé d'un garage de voitures de luxe, Roger est aussi un amoureux fou des mots et de la langue française. Un jour, pressé, il oublie de boucler sa ceinture de sécurité. Arrêté par la police, il subit un contrôle. Ses réponses laissent visiblement les policiers perplexes. Peu de temps après, il est convoqué chez le juge d'instruction. Il apprend alors qu'il est accusé d'avoir usurpé l'identité de Roger Joly. Le juge d'instruction affirme qu'il s'appelle en réalité Aziz Bensalah...
Fipa d'or 2006 de la meilleure interprétation masculine pour Daniel Russo dans la catégorie «Fiction».

Le sujet était exceptionnel et surtout extraordinairement bien traité. Jamais manichéen, toujours sur la corde raide sans savoir si l'on est dans la vérité ou le mensonge; l'absurdité de la démarche de l'administration judiciaire, la réflexion sur l'identité nationale, l'assimilation...

Cela m'a fait repenser au projet d'autorisation des enquêtes sur les origines ethniques de la population française. Je n'ai toujours pas compris l'intérêt de ce genre d'enquête, je cherche, je cherche, pas moyen de comprendre. Et j'ai pensé très fort à quelques personnes de mon entourage en me demandant comment elles seront "classées":

- Ciboulette, qui se reconnaîtra: pas vraiment de papiers français, pas un parent ni grand-parents français, tous de quelque part au bord de la Méditerranée, et pourtant, il ne me viendrait pas à l'idée de ne pas la considérer comme Française (pour autant que la question ait de l'intérêt)
- un ancien collègue de mon mari. Appelons-le Mohamed. Enfant de l'assistance. Il aimait accompagner mon mari pour aller danser dans une guinguette du bord de la Marne, en terminant la soirée par un petite verre. Du genre absinthe le petit verre, à l'occasion.

Ces deux-là et tous les autres, où notre chère administration va-t-elle les caser ? Comme si la couleur des papiers d'identité avait de l'importance... Je ne sais pas moi, savoir si on cuisine à l'huile d'olive ou au beurre, ça c'est intéressant. Si on parle français, un dialecte régional ou étranger, à la maison, ça c'est intéressant. Si on consomme couramment des bananes plantains, du paneer ou du melfor. Bref, réfléchir un peu à ce qui fait l'identité d'un Français, d'un Chinois, ou d'un Péruvien, et aux questions de l'intégration, assimilation ou des modes de coexistances...

Pour le coup, je vais ressortir "L'identité de la France" de Fernand Braudel.
Et puis le "La mosaïque France" d'Yves Lequin et "Et si on faisait payer les étrangers?" de Jean-François Dubost. Voilà.

Pendant que mon mari s'inquiète à l'idée de devoir refaire sa carte d'identité. Hé, c'est que ses grands-parents ne sont nés ni Français ni en France. Et pendant ce temps-là, une de ses employées, origine d'Europe de l'Est, hors Union européenne, mais en France depuis l'âge de 14 ans et ayant grandi dans une famille d'accueil, n'arrive toujours pas à se faire naturaliser... Je vais bien, tout va bien...

Biblio:

Fernand Braudel, L'identité de la France, Paris, Flammarion, 1993.
Yves Lequin, La mosaïque France, Paris, Larousse, 1988 ou reéd. 2006, Histoire des étrangers et de l'immigration en France.
Jean-François Dubost, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Paris, Flammarion, 1999.
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Brève introduction à l'histoire politique (3)


Parler de l'influence du marxisme sur l'histoire politique revient en fait à quasiment ne pas parler d'histoire politique, puisque "l'historien marxiste accorde une attention privilégiée aux phénomènes sociaux, à leur aspect conflictuel, au sort des plus défavorisés surtout" (Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981, p.104).

Mais il faut bien dire qu'entre Boris Porchnev et les historiens français des Annales des années 1930 aux années 1970, il y a un fossé... Porchnev était un historien soviétique, qui a particulièrement travaillé sur les révoltes populaires dans la France d'Ancien Régime, et fut opposé à Roland Mousnier, à propos de la nature des révoltes paysannes du XVIIe siècle: révoltes révélatrices d'une lutte des classes ou non? Pour la présentation des thèses de Porchnev, voir l'article d'Yves-Marie Bercé, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1964, vol. 122, p. 354-358, Porchnev, Les soulèvements populaires en France...



Cependant, on peut difficilement expliquer l'orientation d'un Lucien Febvre sans prendre en compte sa "lecture attentive de Marx" pour reprendre la formule de Fernand Braudel, dans cet article du vol 12, num. 2 de la revue des Annales, 1957, p. 177-182, "Lucien Febvre et l'histoire". L'accent est mis sur le social. Sur les bancs de l'université, on apprend le rejet de l'histoire politique par les historiens qui ont fondé la revue "Les annales", on apprend le courant historique du même nom, caractérisé par le rejet de l'histoire-bataille, d'une histoire politique focalisée sur les grands hommes. Ce rejet est lié au développement d'une histoire plus sociale, plus économique : voyez le Louis XIV et 20 millions de Français de Pierre Goubert. Au lieu de faire une biographie classique de Louis XIV, P. Goubert démontre les forces économiques de ces vingt millions de Français, sans lesquels Louis XIV n'aurait pu être le roi-soleil... Une thèse projetée sur la politique méditerranéenne de Philippe II, thèse de Fernand Braudel (et selon la légende au moins au sens de "ce qui est rapporté à propos de", en partie rédigée de mémoire en camp de concentration pendant la Guerre de 39-45) est devenue une thèse sur la Méditerranée, temps longs, structures, étant mis en valeur...

Comme Marc Bloch avec les rois thaumaturges, Lucien Febvre choisit ce que l'on appelle alors "histoire des mentalités" et aujourd'hui "histoire des représentations", pour écrire son merveilleux "Problème de l'incroyance au XVIe siècle, la religion de Rabelais"; Bloch, Febvre ont ouvert la porte à de grands maîtres de l'historiographie du XXe siècle: Robert Mandrou, Jean Delumeau, Robert Muchembled...
Mais avant ces célébrités, marquées par l'apport de la pensée marxiste, ont oeuvré et compté Paul Mantoux (La révolution industrielle au XVIIIe siècle, 1906) ou Henri Hauser (Les débuts du capitalisme, 1927). La révolution industrielle, concept qui nous est si familier, enseigné au collège, n'est pas une formule qui a existé de toute éternité en histoire, mais a été créée au début du XXe siècle. P. Mantoux a été le premier à développer à partir des analyses de Marx, le concept de révolution appliquée à l'industrie, à l'histoire économique.

À propos de l'histoire politique écrite jusqu'alors, Lucien Febvre a eu des mots sévères (dont on se délecte en cachette, avouons-le...) : critique du tout-politique, critique de l'histoire positiviste, c'est-à-dire, factuelle et certaine d'établir la vérité une fois pour toutes. On a parlé d'une certaine volonté de "tuer le père" de la part des premiers historiens des Annales. Étaient visés en particulier Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, auteurs d'un manuel sur la méthode historique (ne retenir qu'un élément d'un discours permet de le déformer... on le sait bien aujourd'hui encore):

" L’Histoire se fait avec des documents. Le documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de document, pas d’histoire. " (Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, rééd., Paris, Kymé, 1992, Liv.I, chap I, cité dans Charles-Olivier Carbonnell et Jean Walch, Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p.171).
La réponse de Lucien Febvre quelques années plus tard a été cinglante, comme il savait faire:

" L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste-t-elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce qu’elles ne disent pas d’elles-mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites – et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à l’absence du document écrit. " (Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p.428 cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, Folio Histoire, 1996, p82).
Et en marge des Annales, l'histoire politique, un peu occultée, a continué à vivre, à se renouveler grâce notamment à Pierre Renouvin, et notamment l'Introduction générale à l'histoire des relations internationales, de 1953. Néanmoins en 1974, Jacques Julliard écrivait "L'histoire politique a mauvaise presse chez les historiens français. Condamnée il y a une quarantaine d'années par les meilleurs d'entre eux, un Marc Bloch, un Lucien Febvre, victime de sa solidarité de fait avec les formes les plus traditionnelles de l'historiographie du début du siècle, elle conserve aujourd'hui encore un parfum Langlois-Seignobos qui détourne d'elle les plus doués, les plus novateurs des jeunes historiens français. Ce qui n'est pas naturellement pour arranger son cas".

Pour être plus précis, et en revenir au problème de la biographie, ce genre n'a pas entièrement disparu à cause de la désaffection des historiens, en raison de la demande du public. Reste que le genre biographique reste probablement un des plus difficiles, et même traités par de grands noms. Il donne aussi lieu ou a donné lieu à des publications trop souvent très médiocres.

Pour aller plus loin :

- Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981
- M.-P. Caire-Jabinet, L'histoire en France du Moyen-Âge à nos jours, introduction à l'historiographie, Paris, Flammarion, 2002.
- J. Le Goff, P. Nora, Faire de l'histoire, Paris, 1973 (apperçu dans Google Books)
- F. Bédarida et alii, L'histoire et le métier d'historien en France, 1995 (apperçu Google Books)

Vous trouverez également sur le site des classiques en sciences sociales (classiques.uqac.ca/) de nombreux livres de Lucien Febvre, dont Combats pour l'histoire.
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