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Une envie de livres ?

20/07/2010

"La reine se meurt, la reine est morte"

Quand en 1683 Marie-Thérèse d'Autriche, discrète épouse de Louis XIV, décède, plusieurs médecins ou chirurgiens, à Paris ou à la cour, ont probablement poussé un soupir de découragement. S'ils avaient eu le droit, si on les avait écouté, la reine aurait survécu! Ce n'était qu'une infection bénigne. Un abcès sous l'aisselle, soigné à grand renfort de saignées et d'emplâtres humides, quand un coup de lancette aurait suffi.

Oui, mais les premiers médecins du roi avaient le dernier mot, leur rang leur donnait autorité. Que de meilleurs praticiens détiennent la vérité n'était pas admissible.

Ce genre d'histoire remplit les nombreux volumes des mémoires de cette langue de vipère qu'était le duc de Saint-Simon. Et cela nous fait rire, avant de conclure "Heureusement, nous avons bien changé, il n'y a plus ce fatras de privilèges et de pompeuses préséances autour du prince, la république, ya que ça de vrai". Pour la question des privilèges, voyez les cortèges de fonctionnarisés - y compris les enseignants - ou employés de grandes compagnies de service dit public qui descendent dans la rue dès qu'il est vaguement question de toucher, non à leurs privilèges, mais à leur statut spécifique, à leurs régimes spéciaux. Un certain nombre de ces régimes spéciaux remontent aux conditions de travail d'il y a cinquante ou cent ans. Mais il est pour ainsi dire impossible de revenir sur des acquits. Pendant ce temps, le métier de pompier n'est pas classé dans les métiers à risque. Cherchez l'erreur.

J'aime l'idée de démocratie, de république, et les symboles républicains. À condition que la république ne fasse pas pire que la monarchie, soit inscrire l'égalité à ses frontons et la bafouer aussi régulièrement que possible. Au moins, la monarchie ne masquait pas ses principes, les appliquait et admettait même des entorses quand ils étaient irréalistes ou irréalisables sans danger. Voyez les possibilités d'acension sociale, d'anoblissement tacite ou non, les mariages entre familles nobles et roturières, malgré la séparation juridico-culturelle et sociale entre les trois ordres.

La croyance selon laquelle être issu de tel ou tel corps rend digne des meilleures places, cela n'a pas non plus disparu, chassez le naturel, etc., etc. Il y a dans l'éducation nationale, une croyance selon laquelle être issu d'une grande école - comme l'ENS - constitue une garantie. Ce sera nécessairement un bon enseignant, un bon chercheur. Ou en tout cas, qu'il vaut mieux recruter un ancien élève d'une grande école, que l'on connaît pas, plutôt qu'un enseignant issu de l'université, que l'on connaît.
Mon propos n'est évidemment pas de remettre en cause les compétences des Normaliens, je suis assez mal placée pour cela, mais de manifester une certaine lassitude face à certains réflexes. On entretient des légendes que l'on sort systématiquement aux étudiants "Sans l'agrégation, ne pensez même pas obtenir un poste dans le supérieur". C'est faux, on le sait, mais cela permet de trier la masse, pour ne retenir que les obtinés, les plus courageux. Les exemples d'enseignants du supérieur non agrégés abondent malgré tout. Exemples qui contiennent de bons et de mauvais enseignants, comme on voit des Normaliens être de (très) bons enseignants comme on en voit de (très) mauvais.

Oui mais voilà. Comme au siècle de Louis XIV, il faut s'avouer que les compétences, vérifiées au fil du temps, valent plus que les valeurs ou des critères hérités d'une époque antérieure. Ce n'est pas la division de la société en trois états - clergé, noblesse, roturiers - qui a bloqué la société. C'est que le deuxième ordre est resté attaché à des interdits - comme celui de pratiquer le négoce, et par extension, de s'intéresser directement au développement de sa fortune, au moyen de l'innovation.

Pour en revenir au XXe siècle, il était logique quand l'École normale supérieure préparait les enseignants de lycée, quand l'agrégation était le seul concours de recrutement à ce niveau-là, d'attendre d'un candidat à un poste universitaire qu'il soit issu de l'ENS et qu'il soit agrégé. Aujourd'hui, être issu d'une grande école démontre des qualités intellectuelles et scolaires. Mais cela ne prouve pas tout. De nombreuses études sociologiques ronronnent les mêmes résultats, être normalien est aussi le fruit d'un cursus particulièrement suivi par des parents avisés, des enseignants attentifs à déceler les meilleurs élèves. Il y a cependant un progrès depuis l'Ancien Régime: tout le monde en droit peut entrer à l'ENS. On sait cependant que c'est un cursus que l'on prend plus facilement quand des parents sont eux-mêmes enseignants, conscients du caractère essentiel de la réussite scolaire, ou quand les enseignants de ces enfants sont attentifs à déceler un potentiel.
Mettez un enfant de la famille Le Quesnoy dans une famille lambda - Groseille si ça vous chante -, avec des enseignants bons mais qui n'ont pas ce grain de génie que j'ai trouvé à l'université auprès de plusieurs de mes enseignants (dont la majorité n'avait fait ni Ulm ni les Chartes), ses chances d'entrer dans une grande école sont extrêmement faibles. Mais que l'on arrête de culpabiliser pour autant les parents enseignants. Le seul souhait que l'on puisse faire est de donner davantage de chances à tous les enfants de mettre en valeur leur potentiel. Chacun a ses dons propres. C'est le rôle des adultes, parents et enseignants, de le découvrir et de le faire pousser. C'est là que les valeurs de la république vont s'épanouir.

Se borner à recruter d'anciens élèves de grandes écoles, c'est ignorer l'apparition depuis cinquante ans de nouveaux critères de sélection comme le CAPES, certes moins élitiste. Si avoir l'agrégation est un gage (relatif) de qualité, ne pas avoir l'agrégation n'est pas gage de médiocrité... Ne retenir que les enseignants qui n'ont jamais mis les pieds dans un collège ou un lycée, c'est ignorer de formidables enseignants qui aimeraient prendre un peu de hauteur, sortir des programmes du secondaire, s'adresser de temps en temps à un public qui a choisi d'être là, dans cette filière précise.

Par solidarité de corps ou conviction que l'élite est là et nulle par ailleurs, on laisse sur le bord de la route des enseignants fabuleux. Rassurez-vous, mes chevilles vont très bien, je ne parle pas de moi, ni pour moi. Je voulais rendre ici hommage à un de mes anciens enseignants de lycée, un des plus fabuleux professeurs que je n'ai jamais eu, dont les compétences ont été remises en cause récemment par des parents d'élèves. Et qui n'a jamais eu sa chance à l'université. J'ai découvert auprès de lui la même passion communicative pour sa discipline et la même rigueur intellectuelle qu'auprès de mes meilleurs enseignants à l'université. Au lycée où il moisirait, s'il n'était pas de l'étoffe de ceux qui résistent, une administration convoque et reconvoque à la moindre pécadille ses enseignants, dans un travail de sape morale dont le but est clairement de fermer des filières, pour faire des économies. Tandis que la vraie gabegie est de laisser se perdre des générations d'élèves en les encourageant à la contestation des qualités de leurs enseignants les plus chevronnés. En les habituant à la contestation stérile et revendicative, au nom de droits mal compris, en les incitant ainsi à ne pas soumettre leur esprit à la discipline de la réflexion. Pourtant, contribuable comme tant d'autres, je ne suis pas portée à l'augmentation des impôts, et encore moins s'il s'agit de ponctionner une fois de plus le privé pour financer le public.
Hélas, j'ai peur qu'à force d'avoir manifesté à la moindre réforme, le corps des enseignants ne se soit discrédité. À force de crier "Au loup! Au loup!" qui, en dehors des enseignants, peut croire encore la gravité des attaques actuelles envers l'agrégation d'histoire, le CAPES de lettres classiques? Elles sont graves, gravissimes mêmes, comme sont gravissimes et scandaleux ce harcèlement moral ou cet abandon qui caractérisent les directions de tant d'établissements du secondaire.

Une telle situation ne se trouve pas - encore - à l'université. Du moins, je ne l'ai pas rencontrée encore. Des bassesses, des mesquineries, oui, comme ailleurs. Mais un lynchage sournois des enseignants face aux étudiants, pas encore. Pour le recrutement des nouveaux Maîtres de conférence, il paraît que l'on se fie de moins en moins au CV et de plus en plus aux preuves données à l'usage par des enseignants contractuels, dans ce que l'on appelle "le recrutement local".
On prend en compte depuis quelques années - dans l'évaluation des cours, non dans le recrutement - l'avis des étudiants, qui préfèrent rarement les médiocres. Espérons que cela soit vrai.

La question saugrenue que je me pose est donc la suivante: que me suggérez-vous pour soudoyer mes étudiants? Histoire que j'atteigne la meilleure cote de popularité... à défaut de devenir titulaire. En attendant, l'Éducation nationale subit des coups fatals, mais jalouser les millions en jeu dans l'affaire Bettencourt semble plus intéressant.


P.S.: à propos de mes billets angoissés de juin, tout va bien pour moi, un poste m'attend à la rentrée...
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