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Une envie de livres ?

03/06/2011

La note en bas de page

Il y a des moments où l'on se sent bête. Récemment, très récemment même, je découvre qu'une explication - ce qu'est un mortier et du déchet de mortier - que j'ai cherché obstinément pendant quatre ans, figurait dans une note de bas de page d'une publication que je consulte régulièrement depuis dix ans. Groumph. Pour ma décharge, la publication en question faisait bien ses trois cents pages et n'était pas du genre sexy.

Entre temps, à force de compulser dictionnaires et pages internet recelant moults ouvrages antiques et scannés en tous genres, j'avais fini par trouver ma réponse. Il me fallait cette réponse, parce que voir ce machin me narguait dès que j'ouvrais une archive ou que je consultais ma base de données, ça commençait à attaquer ma patience. Irritant comme un grain de sable. J'avais pensé au sable justement (mortier, sable, ça semblait logique). Sauf que non, dans ce contexte-là, ce n'était pas possible. Bon, en vrai c'était une sorte de combustible qui brûlait toute la nuit comme veilleuse. 

Mais alors, en trouver l'explication dans mon corpus-de-dix-ans, je me suis sentie bête. Limite vexée. Par moi-même. Si ça, ce n'est pas être forte...

Il faut toujours se méfier des notes de bas de page. 

Surtout de celles qui indiquent que le texte proposé est un roman recomposé à partir de diverses sources. Comme ce qui vient de se passer à l'agrégation d'histoire. 

On a beaucoup parlé, même dans la presse. Pour résumer au cas où vous n'auriez pas suivi l'affaire, le texte donné à l'une des épreuves de l'agrégation externe d'histoire cette année, était un faux, donné aux étudiants sans que rien ne permette de le savoir. L'agrég d'histoire ce sont quatre jours de joie intense, deux dissertations d'histoire de sept heures, un commentaire de document historique de sept heures encore et une dissertation de géographie de sept encore. Normalement, on sort de là sur les rotules après plus d'un an de travail de dingue. 

Les sujets sont choisis par les responsables d'épreuves parmi des propositions faites par les membres du jury. Et cette année, chose inédite les responsables d'épreuve ont fait une grosse grosse boulette. Le texte choisi ne datait pas comme il l'était présenté du XVe siècle mais il était l'oeuvre d'un érudit, désormais célèbre, répondant au simplissime nom de Palémon Glorieux, et publié en 1965 dans la Revue d'histoire de l'Église. La chose était clairement indiquée dans la note de bas de page du document, mis en ligne grâce au fabuleux site Persee.fr page 249 (cliquez). L'affaire est sortie notamment là, sur le site d'un journaliste blogueur de Libération. Après quelques heures d'angoisse, le ministère a confirmé que l'épreuve était maintenue. De cette triste affaire, les historiens risquent fort de sortir un peu ridiculisés. On en a parlé à l'association des professeurs d'histoire-géographie, et même dans la fabrique de l'histoire, l'émission de France culture. Je vous passe les cohortes de journalistes de RTL et d'ailleurs (non je n'aime pas RTL si c'est la question) cherchant à recueillir le témoignage de candidats atterrés par la nouvelle. Il y avait de quoi, remarquez.

C'est comme si on donnait à nos étudiants des extraits du Journal intime de Louis XIV, écrit par François Bluche. Remarquez, une historienne américaine a été un cheveu de faire paraître un ouvrage s'appuyant allègrement sur cette farce.

L'ennui dans tout cela, c'est que l'on ne sait finalement pas comment une telle erreur a pu se produire. Pour ce que j'en ai vu, des professeurs présidents ou membres du jury, tous ont à assumer cette charge en sus de tout le reste: autres cours de licence, de master, de concours, charge administrative, paperasse exigée par l'AERES, gestion des laboratoires, nécessité de participer, organiser des colloques, publier. Au bout d'un moment, l'erreur devient inévitable. De combien de temps Catherine Vincent et Denyse Riche ont-elles disposé pour valider le texte proposé ? Si au moins cela pouvait amener le ministère à reconnaître qu'à trop charger la barque, elle casse... Le comble du mauvais goût serait que le ministère de manière affichée ou non, tape sur le jury à propos de la faute commise, sans qu'il ne se remette lui-même en cause. Même s'il était évident que mettre un couvercle - étouffer l'affaire pendant près d'un mois - était un choix explosif et pour tout dire condamnable... 

Cette affaire peut faire rire, certes. Elle est surtout triste. Un scandale fait toujours plus parler que de brillants travaux dont Monsieur tout le monde se moque éperdument. J'ai moi-même du mal à comprendre comment une telle erreur a été possible. Parce que les historiens travaillent sur des originaux. Effectivement, la seule entorse, c'est quand, pour les travaux dirigés, on choisit souvent des documents dans des recueils ou des revues. J'ai cependant du mal à croire que cette bourde reflète le travail globale des deux responsables de l'épreuve de médiévale. Oui, cette pauvre affaire a été une catastrophe, d'autant plus qu'elle a été très mal gérée. Oui, c'est d'autant plus amère que quelques membres du jury, heureusement rares, ont à l'oral notamment un comportement assez peu digne. Que les moqueries des correcteurs sont sévères dans les rapports du jury. Pris en défaut, on rit moins facilement. Peut-être cela en ramènera-t-il quelques-uns à l'humilité, un tout petit peu plus d'humilité et d'humanité contre un peu trop de certitudes.
Et en dépit de tout cela, je ne peux pas leur jeter la pierre. C'est triste, même pas drôle, non.

Jamais un billet n'aura autant mérité que celui-ci d'être classé dans la catégorie Sic transit gloria mundi...
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